Le procès de Robert Avril

L’enquête de ce qu’on appelait à l’époque « l’affaire Janet Marshall » est restée dans les mémoires pour sa portée internationale et les débuts de l’utilisation du portrait-robot. Cependant, le procès qui en découla a surtout été marqué par des histoires aux dimensions plus humaines…

Janet Marshall est une institutrice anglaise. En août 1955, pour ses vacances, elle part faire le tour de la France à bicyclette. Le 28 août, elle est retrouvée morte au bord d’une route de la Somme. La police française mène l’enquête, mais manque d’éléments. La presse britannique commence à critiquer l’efficacité des enquêteurs français, ce qui pousse les autorités à l’innovation. Le commissaire Chabot fait réaliser un portrait-robot du principal suspect. Une première dans l’histoire de la police française. Au bout de quelques mois, le portrait permet de faire un lien entre l’auteur du meurtre et le suspect d’un vol de vélomoteur : Robert Avril, déjà condamné pour viol. Il est arrêté le 7 janvier 1956 et avoue rapidement.

Le portrait-robot, un outil mais pas une preuve

Si le portrait-robot a permis de faire avancer l’enquête, il n’est d’aucune utilité pour le procès. Le portrait-robot est un outil d’enquête, pas une preuve. Mais l’accusation a besoin de preuves matérielles si elle veut faire condamner Robert Avril… Pour son procès en mai 1957, il est revenu sur ses aveux. Il prétend maintenant avoir étranglé Janet Marshall, certes, mais l’avoir laissé vivante. La police a retrouvé dans sa planque des affaires appartenant à la victime, ce qui rend difficile de nier l’agression. Il se contente donc de nier le meurtre.

La version de l’accusé ne convainc pas vraiment, mais il est impossible de la réfuter. Ce n’est donc pas le portrait-robot ou les expertises scientifiques qui vont faire avancer le procès, mais des considérations bien humaines.

Touché, Robert Avril vacille

D’abord, c’est le jeune enquêteur Henri Van Assche qui va effriter la façade de Robert Avril. L’enquêteur, qui avait le premier fait un lien entre le meurtre et un voleur de bicyclette aperçu dans la région, est également celui qui a mené l’interrogatoire de l’accusé après son arrestation. À la barre, il raconte : « J’ai eu pitié de lui parce que c’était un misérable et qu’il avait eu une enfance malheureuse. Il m’a dit avoir tué miss Marshall. Il paraissait soulagé. Il était vivant. Il était vrai… ». La compréhension dont fait preuve Van Assche font vaciller l’accusé. Robert Avril se met à pleurer. Le président de la séance, M. Boudon, sentant que l’homme est peut-être prêt à avouer de nouveau, tente sa chance. Un peu tôt peut-être : Avril n’avoue pas tout à fait, mais sa version des faits s’ébranle.

L’échange entre Robert Avril et M. Boudon est rapporté par Bertrand Poirot-Delpech, chroniqueur pour « Le Monde » à l’époque :

« Avez-vous frappé la jeune fille avec un bâton ? lui a-t-on demandé.

– Non, a dit l’accusé. Puis quelques minutes après : « C’est possible ! »

– Avez-vous tiré le corps dans le fossé ?

– Non, a-t-il protesté, puis aussitôt : « Peut-être ! »

– Reconnaissez que vous avez étranglé la victime avec un lien mou et non avec une ficelle.

– Je n’en sais rien. Ce n’est pas impossible…

Sur un seul point Avril a tenu tête. « Quand j’ai dit que je ne voulais pas tuer cette femme, a-t-il répété, c’était la vérité. J’ai toujours eu la conviction de ne pas avoir donné la mort parce que je n’ai pas voulu le faire. » »

Condamné à perpétuité

Enfin, c’est le frère de la victime, John Marshall, qui lancera le second moment de flottement du procès. Dernier témoin attestant la moralité de Janet Marshall, il finit en se déclarant opposé à la peine de mort. En 1958, celle-ci est toujours d’actualité. La peine capitale pèse donc comme une épée de Damoclès au-dessus de Robert Avril. En entendant le témoin demander à demi-mot un peu de clémence pour l’accusé, ce dernier se lève et prend la parole :

« Permettez-moi de demander pardon au témoin du plus profond de moi-même. »

Ces aveux à peine voilés et ces preuves d’humanité vont atteindre le jury. Alors que le procureur réclamait la peine de mort, Robert Avril sera jugé coupable, mais condamné à la perpétuité.

Ainsi se clos le procès Robert Avril : non pas tant grâce à des avancés techniques qu’à l’indulgence des témoins qui ont poussé l’homme à s’ouvrir. « L’affaire Janet Marshall » pouvait désormais s’appeler « l’affaire Robert Avril ».

 

Guillaume Vincent, master 2 IFP