Requête avant dire droit de l’article 145 du Code de procédure civile et principe du contradictoire : un coup de tonnerre !
Dans cette affaire, un requérant suspectant un détournement de clientèle par ses anciens collaborateurs avait saisi le juge des requêtes afin d’obtenir la désignation huissier de justice pour exécuter diverses mesures d’instruction avant dire droit sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
La requête ayant été accueillie par le juge, les requis avaient alors assigné le requérant devant le juge de la rétractation.
Le 24 mai 2019, le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris ordonnait la rétractation de l’ordonnance du 14 mars 2019 et l’annulation du procès-verbal du 26 mars 2019.
Il relevait, ainsi, que ni l’ordonnance, ni la requête ne mentionnaient les mots clés sur la base desquelles les mesures d’instruction étaient encadrées. En effet, seules les pièces visées à l’appui de la requête contenaient lesdits mots clés.
Dès lors, en l’absence de notification des pièces, les requis ne pouvaient pas prendre pleinement connaissance de l’étendue des investigations.
Néanmoins, la Cour d’appel de Paris a infirmé l’ordonnance du 24 mai 2019, en considérant que ce motif de rétractation découlait d’une « mauvaise application de la loi ».
La Cour jugeait ainsi que « l’absence de signification des pièces elles-mêmes n’entache pas la régularité de l’ordonnance ni ne porte atteinte au principe du contradictoire tel qu’exigé à ce stade » (CA PARIS 15 janvier 2020).
La Cour de cassation vient de confirmer cette lecture par son arrêt du 14 janvier 2021.
Requête 145 : une dérogation au principe du contradictoire temporaire
Pour rappel, l’article 145 du CPC autorise toute personne qui envisage d’engager une procédure au fond de requérir des mesures avant dire droit. Cette demande peut être faite ex parte afin de ménager l’effet de surprise, l’huissier instrumentaire ayant pour mission d’appréhender tout document permettant d’établir les faits allégués par le requérant.
Cette puissante dérogation au principe du contradictoire n’est que temporaire et son rétablissement a vocation à intervenir en deux temps.
D’une part, le requis ayant vocation à subir les mesures d’instruction ordonnée pourra engager une procédure de référé rétractation.
Pour préserver les droits des requis, l’article 496 alinéa 2 du CPC dispose que « s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au Juge qui a rendu l’ordonnance ».
D’autre part et avant même l’exercice de ce recours en référé rétractation, l’article 495 alinéa 3 du CPC permet un rétablissement partiel du contradictoire au stade de l’exécution des mesures d’instruction ordonnées en imposant qu’il soit remis à la personne ayant vocation à les supporter une copie de la requête et de l’ordonnance autorisant lesdites mesures.
L’article 495 alinéa 3 du CPC : un rétablissement partiel du contradictoire au stade de l’exécution de la mesure d’investigation
Cette obligation de remettre une copie de l’ordonnance et de la requête, concomitamment à l’exécution de la mesure, permet ainsi au requis de prendre pleinement connaissance de l’étendue et de la légalité des investigations ayant vocation à être diligentées par l’huissier instrumentaire en ses locaux.
La Cour régulatrice résume ainsi parfaitement la fonction de l’article 495 alinéa 3 : « l’article 495, alinéa 3, du Code de procédure civile a pour seule finalité de permettre le rétablissement du principe de la contradiction en portant à la connaissance de celui qui subit la mesure ordonnée à son insu ce qui a déterminé la décision du juge, et d’apprécier l’opportunité d’un éventuel recours. » (Civ.2, 4 septembre 2014, n°13-22.917).
Tout manquement à cette formalité entraine ainsi inévitablement la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête (Civ.2, 1er septembre 2016, n°15-23.326).
La question qui se posait alors était de savoir si cette remise de la copie de l’ordonnance et de la requête devait également s’accompagner d’une remise de la copie des pièces visées dans la requête ?
Une interprétation littérale des dispositions de l’article 495 alinéa 3 du CPC
La Cour de cassation vient, dans son arrêt du 14 janvier 2021, d’y répondre par la négative en affirmant « qu’il résulte de l’article 495, alinéa 3, du code de procédure civile qu’une copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle est opposée, à l’exclusion des pièces invoquées à l’appui de la requête. »
La Cour de cassation fait ainsi une interprétation stricte de l’article 495 alinéa 3 du CPC aux termes duquel la remise de la copie des pièces de la requête n’est pas exigée.
Cette solution se justifie notamment dans la mesure où l’ordonnance rendue sur requête 145 doit en principe être motivée et encadrer strictement le périmètre des mesures d’instruction.
En effet, l’obligation de motivation de l’ordonnance faite au juge, permet ainsi de s’assurer que la personne subissant la mesure autorisée puisse prendre connaissance de l’étendue des investigations ordonnées par la seule remise de la requête elle-même motivée et de l’ordonnance.
Cette interprétation stricto sensu du texte à laquelle procède la Cour régulatrice n’est donc pas en elle-même contestable.
A certains égards, elle peut même être défendue dès lors qu’il doit être rappelé que la personne ayant vocation à subir les mesures d’investigations ordonnées n’est pas nécessairement la personne contre laquelle le requérant a vocation à agir au fond.
Ainsi, imposer la remise de la copie des pièces visées par la requête à un tiers au litige pourrait s’avérer critiquable dès lors que lesdites pièces sont susceptibles de contenir des informations sensibles et confidentielles pour lesquelles le requérant pourrait s’opposer légitimement à ce qu’elle puisse être portée à la connaissance du tiers au litige.
De plus, il est des cas où la procédure 145 ne sera finalement pas suivie d’un litige au fond. Il pourrait être préjudiciable pour le requérant d’avoir porter à la connaissance des informations confidentielles à un tiers ou pire à son potentiel adversaire.
Cependant, le respect du contradictoire n’aurait-il pas dû conduire la Cour de cassation à retenir une interprétation extensive de l’article afin de s’assurer pleinement du respect du contradictoire au stade de l’exécution des mesures lorsque l’ordonnance elle-même est indigente ?
Une solution à l’encontre du principe du contradictoire ?
Dans le cas d’espèce où la liste des mots clés permettant de définir et d’encadrer le périmètre des investigations autorisées n’était pas reprise dans l’ordonnance se contentant de faire référence aux pièces de la requête dans lesquelles figurait ladite liste, cette absence de notification des pièces pose une réelle difficulté.
La seule remise de l’ordonnance et de la requête à l’exclusion des pièces visées ne permettaient pas, en l’espèce, aux requis de prendre connaissance de l’étendue des mesures autorisés ni de pouvoir évaluer leur légalité.
C’est d’ailleurs cette interprétation extensive de l’article 495 alinéa 3 du CPC qui avait conduit le juge de la rétractation à rétracter l’ordonnance rendue sur requête jugeant que l’absence de remise des pièces de la requête avait conduit à une violation du principe du contradictoire.
Il est vrai que l’arrêt d’espèce s’inscrit dans la droite lignée de l’arrêt du 12 avril 2018 dans laquelle la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger : « Mais attendu que seule est exigée, par l’article 494 du code de procédure civile, l’indication précise des pièces invoquées à l’appui de cette requête, à l’exclusion de leur communication entre les parties » (2ème Civ., 12 avril 2018, n°17-15.527).
Néanmoins dans cet arrêt, la Cour se bornait à rappeler que l’article 494 du CPC n’exigeait pas une communication généralisée des pièces invoquées à l’appui de la requête sans que ce rappel ne s’oppose à ce que la communication de certaines pièces puisse être exigée dans l’hypothèse où la lecture de l’ordonnance et de la requête ne permettrait pas de connaître l’étendue des investigations ordonnées.
Or, devant la spécificité de l’espèce, il aurait semblé préférable que la Cour de cassation apprécie plus largement la portée des dispositions de l’article 495 du CPC pour retenir que la remise de la copie de l’ordonnance et de la requête doit s’accompagner de celle des pièces indispensables au rétablissement du principe du contradictoire au stade l’exécution.[1]
Ce n’est pas la solution retenue la Cour de cassation qui par cette stricte interprétation du texte entend, peut-être, contraindre les juges à motiver leur ordonnance et encadrer précisément le périmètre des mesures autorisées sans opérer par renvoi aux pièces du requérant.
Pour autant, les requérants pourraient s’appuyer sur cette solution pour tenter de renforcer l’effet de surprise de cette procédure, et restreindre la portée du contradictoire au moment de l’exécution, en empêchant ainsi leur potentiel adversaire de prendre connaissance de l’étendue de la mesure d’investigation.
[1] C’est d’ailleurs en ce sens que s’était positionné l’avocat général dans cette affaire estimant que « l’ordonnance pour être conforme et être exécutable doit se suffire à elle-même (sans renvoi à des pièces annexes) compte tenu de ce que l’étendue de la mesure doit nécessairement être explicitement délimitée par elle, il pourrait être considéré, à l’instar du premier juge, que, dans l’hypothèse particulière de l’espèce, les pièces expressément visées par le dispositif doivent être signifiées avec l’ordonnance au moment de l’exécution de cette dernière ».
Par Lin NIN et Noémie BARUSSEAU, avocats au sein du cabinet Duclos Thorne Mollet Viéville