Le testament du coq Maurice

La loi « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises » vient d’être votée après une série de contentieux de voisinage très médiatisés, notamment à propos du chant du coq Maurice sur l’Île d’Oléron, du tintement des cloches de Bondons en Lozère et du coassement des grenouilles de Grignols dans le Périgord.

Aux côtés des espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les « sons et odeurs qui les caractérisent » font désormais partie du patrimoine commun de la nation (C. envir. art. 110-1, al. 1 modifié). Afin de reconnaître et d’identifier ces sons et odeurs, les services régionaux de l’inventaire du patrimoine culturel se voient confier la mission d’étudier et de qualifier l’identité culturelle des territoires (Loi 2021-85 art. 2, I). Dans les territoires ruraux, les inventaires menés contribueront à connaître et faire connaître la richesse des patrimoines immobilier et mobilier conservés, leur relation avec le paysage et, dans leur diversité d’expressions et d’usages, les activités, pratiques et savoir-faire agricoles associés (Loi 2021-85 art. 2, II). Ces recherches pourront être exploitées pour l’établissement des documents d’urbanisme (Loi 2021-85 art. 2, III), les services chargés de l’inventaire pouvant être sollicités par les collectivités territoriales lors des études préalables à l’établissement des PLU ou des sites patrimoniaux remarquables.

La loi prévoit enfin que, dans les six mois de sa promulgation, soit d’ici le 29 juillet 2021, le gouvernement devra remettre un rapport au Parlement examinant la possibilité d’introduire dans le Code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage. Ce rapport étudiera les critères d’appréciation du caractère anormal du trouble, notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement (Loi 2021-85 art. 3).

À noter : 1. Rappelons que le notariat s’est également emparé de la question. La chambre des notaires du Morbihan a ainsi proposé d’introduire systématiquement dans les avant-contrats de vente d’immeuble une clause par laquelle l’acquéreur reconnaît avoir pris connaissance de l’environnement du bien (SNH 40/20 inf. 13).

2. Le référencement de ces sons et odeurs à l’inventaire du patrimoine national emportera-t-il une exonération de responsabilité sur le fondement des troubles anormaux du voisinage qui en résulteraient ? Non. C’était pourtant l’objectif poursuivi par la proposition de loi, dont la version initiale prévoyait d’insérer dans le Code du patrimoine des dispositions selon lesquelles les nuisances sonores et olfactives inscrites au patrimoine sensoriel des campagnes ne peuvent être considérées comme des troubles anormaux de voisinage (Proposition AN n° 2211 du 11-9-2019 art. 1). Mais le Conseil d’État, saisi pour avis, s’est montré défavorable à un tel principe d’irresponsabilité, pouvant heurter le droit à un recours effectif du plaignant (CE avis 16-1-2020 n° 399419). Moins radical, le texte finalement adopté se concentre sur la reconnaissance de ces sons et odeurs, et leur identification comme composantes à part entière des territoires ruraux notamment, avec l’espoir de désamorcer en amont les contentieux de voisinage qui leur sont liés (Rapport Sén. n° 269 déposé le 13-1-2021). Quant au rapport qui doit être remis au Parlement dans les 6 mois, il s’inscrit dans la perspective plus générale du projet de réforme de la responsabilité civile qui prévoyait déjà de consacrer dans un nouvel article 1244 du Code civil la construction jurisprudentielle bâtie autour de la responsabilité pour trouble anormal du voisinage (Projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13-3-2017 : www.justice.gouv.fr). Rappelons qu’il s’agit d’une responsabilité objective, sans faute (par exemple, Cass. 3e civ. 12-2-1992 n° 89-19.297 : Bull. civ. III n° 44 ; Cass. 3e civ. 13-4-2005 n° 03-20.575 FS-PB : Bull. civ. III n° 89). D’où l’importance de déterminer les critères d’appréciation du caractère anormal du trouble, et notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement, si l’on souhaite contenir le contentieux qui s’est développé ces derniers temps, avec des solutions semant parfois troublantes.

Julie LABASSE 


Loi 2021-85 du 29-1-2021 : JO 30 texte n° 1