Le procès d’Eugène Weidmann, le tueur « au regard de velours »
Mars 1939 : dans quelques mois, la France entrera en guerre. Mais, pour le moment, le territoire français se passionne pour les six meurtres commis par l’Allemand Eugène Weidmann. Il comparait devant la cour d’assises de Seine-et-Oise, à Versailles. Le pays suit attentivement son procès et attend avec impatience le jugement de ce tueur au regard de velours.
Eugène Weidmann est né à Francfort en 1908 dans une famille de bourgeois catholiques. Après deux peines de prison pour vol en bande organisée au Canada et en Allemagne, il arrive en France lors de l’Exposition universelle de 1937, où il se fait passer pour un interprète. Profitant de son physique avantageux, de son intelligence et de sa maîtrise parfaite de l’anglais, Eugène Weidmann séduit de riches touristes étrangers venus à Paris pour l’occasion et les enlève pour des rançons dérisoires. Avec l’aide de Jean Blanc et Roger Million, deux anciens codétenus devenus complices, il les séquestre àLa Voulzie, une villa louée à la Celle-Saint-Cloud, avant de les délester de leur argent et de les tuer.
En décembre 1937, Eugène Weidmann est arrêté pour l‘assassinat de l’agent immobilier Raymond Lesorbe. Interrogé, il avouera non seulement ce meurtre, mais également cinq autres, portant la liste des victimes au nombre de six. Les policiers chargés de l’enquête retrouvent alors, enterrés dans le jardin deLa Voulzie, le corps de la danseuse américaine Joan de Koven et de l’émigré communiste allemand Fritz Frommer. L’inculpé avoue également les meurtres de l’imprésario Roger Leblond, du chauffeur Joseph Couffy, et plus tard, de l’Alsacienne Jeannine Keller Blast. La plupart de ces crimes auraient été, de son propre aveu, motivés par une pulsion du mal qui le conduit à tuer malgré lui. Certains d’avoir été retrouvés, ses complices se livrent également à la police.
Pendant des mois, et malgré l’horreur de ces crimes, l’affaire fascine la presse qui se laisse séduire par « ce tueur au regard de velours ». Sa personnalité schizophrène alliant sens de la mesure, maîtrise de soi et folie meurtrière passionne le grand public. Pour les médias, il s’agit de la plus grande série de meurtres commis depuis Landru.
Un procès suivi de près
Après plus d’un an d’instruction, le procès d’Eugène Weidmann et de ses complices s’ouvre au début du mois de mars 1939 devant les jurés de Seine-et-Oise. L’audience fait salle comble. Les weidminettes, amoureuses transies du criminel, sont là. De nombreux journalistes se sont également déplacés pour couvrir l’événement. Parmi eux, la célèbre écrivaine Colette est envoyée par Pierre Lazareff pour écrire des articles dans « Paris-Soir ».
Lorsque les accusés apparaissent devant les jurés, un sentiment traverse la salle d’audience : celui d’une grande répulsion pour les crimes, mais d’une attirance pour le jeune Allemand. Qualifiés de dégénéré supérieur par les psychiatres, l’attitude de Weidmann au procès est à la fois douce et heureuse, si bien que le public a du mal à croire qu’un assassin puisse se cacher derrière cet homme.
Sa défense est composée de trois ténors du barreau, dont l’illustre maître Moro-Giafferi. Dans sa plaidoirie, long pamphlet politique de plus de deux heures et demi, le pénaliste reconnaît les crimes de Weidmann, mais demande de ne pas le condamner à mort. Il base son argumentaire sur le fait que la peine absolue exige la responsabilité totale. Maître Géraud, avocat de Million, charge quant à lui Weidmann, affirmant que son client est innocent.
Le 31 mars 1939, le jury se retire pour délibérer. À minuit, le verdict tombe : Million et Weidmann, qui accueillent cela avec un petit sourire, sont condamnés à mort, Blanc à 20 mois de prison ferme. Les deux premiers hommes se pourvoient en cassation sans succès. Les avocats tentent un dernier recours auprès d’Albert Lebrun, président de la République. La grâce est accordée à Million, mais refusée pour Weidmann, qui est ensuite incarcéré à la prison Saint-Pierre de Versailles en attendant sa sentence.
Une exécution qui choque l’opinion
L’heure de l’exécution est fixée à 4h30, le 17 juin 1939, place André-Mignot à Versailles. Cependant, une grossière erreur est commise sur l’heure du lever du soleil. En principe, les condamnés sont guillotinés peu avant l’aurore. Là, il fait déjà grand jour quand on réveille Weidmann. Celui-ci apparaît au seuil de la porte de prison et est aussitôt précipité sur la bascule. La police a du mal à contenir la foule qui se masse à quelques mètres seulement de la guillotine. Le couperet tombe. Les conditions de lumière permettent la prise de nombreuses photographies et même d’un film. La foule est hystérique, le désordre total. Des spectateurs trempent leurs mouchoirs dans le sang de Weidmann pour en garder un souvenir.
Scandalisé par ces images, le Premier ministre Edouard Daladier publie quelques jours plus tard un décret qui relègue l’usage de la guillotine à l’intérieur des prisons. L’exécution d’Eugène Weidmann est donc considérée la dernière exécution publique en France.
Chronique rédigée par Margaux Coudour, étudiante en master 2 de science politique