Nuit du droit 2021 et meurtres de femmes
Du crime passionnel au féminicide, une conférence pluridisciplinaire a eu lieu à la cour d’appel de Rouen, à l’occasion de la Nuit du droit 2021, le 4 octobre.
« Vous savez quoi ? Je n’ai même pas le temps de pleurer. »
Le 4 octobre 2021, c’est en citant les propos de la sœur d’une victime de féminicide que Marie-Christine Leprince, première présidente de la cour d’appel de Rouen, a introduit cette conférence pluridisciplinaire en évoquant l’un de ses premiers dossiers criminels en tant que juge d’instruction. Il y a 35 ans, la présence de la partie civile représentant la victime de violences conjugales était encore peu fréquente. Ces crimes, perçus alors comme passionnels, sont aujourd’hui nommés féminicides.
Cette conférence, organisée pour la Nuit du droit, avait pour objectif de revenir sur l’évolution historique et juridique de ces meurtres. Nathalie Bécache, procureure générale de la cour d’appel de Rouen, a insisté sur l’indispensable évolution de la justice sur la prise en charge des violences conjugales.
Isabelle Rome, haute fonctionnaire à l’égalité entre les hommes et les femmes, a rappelé que cette égalité avait été déclarée grande cause nationale par le chef de l’État. Elle a fait partager l’esprit du Grenelle des violences conjugales organisé par le Gouvernement entre septembre et novembre 2019, tout en soulignant les grandes mesures qui en étaient issues. La haute fonctionnaire a mis en exergue l’impératif de protection des victimes, de proactivité des réponses judiciaires et de suivi des auteurs. « Prendre en charge la violence permet d’éviter la récidive », a-t-elle justifié.
« Des drames à la fois humains et sociaux »
La conférence était divisée en deux parties distinctes. La première consistait à développer l’évolution historique des féminicides aux niveaux national et régional au cours des trois siècles derniers. La seconde était consacrée àl’évolution des outils juridiques permettant de juger les féminicides.
Pour introduire la première thématique, Marc André, maître de conférence en histoire contemporaine à l’université de Rouen Normandie, est intervenu et a qualifié les violences conjugales « de drames à la fois humains et sociaux ». Des chercheurs ont présenté leurs travaux d’analyse sur l’évolution des meurtres de femmes.
Matthieu Prati, étudiant en histoire, a étudié les féminicides dans l’Eure et la Seine inférieure entre 1920 et 1938. Il a dénombré 231 victimes de meurtres au sein du couple. 171 victimes étaient des femmes, d’une moyenne d’âge d’environ 36 ans. Dans 65 % des cas où un conjoint trouve la mort, la femme a été, au préalable, victime de violences conjugales et s’est vengée des coups reçus. Matthieu Prati a conclu en mentionnant les sentences encourues par ces hommes accusés d’homicide volontaire sur leurs conjointes. Un homme a été exécuté, en Normandie, suite un tel crime.
De son côté, Sarah Declémy, étudiante en histoire, est intervenue sur le cas des auteurs des violences intimes et féminicides de 1980 à 2015 en Seine-Maritime. Elle a souligné que deux procès sur dix concernent le meurtre d’une femme par son conjoint ou son ex-conjoint. La jalousie se trouve généralement au cœur de ces drames, au même titre que la peur ou la colère face à un amant réel ou supposé de sa conjointe. La plupart d’entre eux n’a que de très faible moyens financiers, se trouve en période de chômage, est ouvrier ou bien à la retraite. Cependant, on retrouve la présence de personnes violentes dans tous les domaines et dans toutes les strates de la société.
Enfin, Victoria Vanneau, docteur en droit, a évoqué le XIXe siècle au cours duquel ces violences étaient déjà sanctionnées. Les magistrats ont longuement bataillé pour agir et éviter ce genre de crimes. La saisie des violences conjugales par la justice est une longue histoire, avec un « entre-deux droits » qui a caractérisé leur traitement juridique au moment où le droit s’est codifié jusqu’au début du XXIe siècle et enfin jusqu’à celui, actuel, où les violences conjugales sont érigées au niveau national.
Des outils pour juger un crime féminicide
La seconde partie – plus juridique – a été introduite par Hajer Rouidi, maître de conférence en droit à l’université Rouen Normandie. Le terme féminicide peut être traduit juridiquement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme étant le meurtre d’une femme en tant que femme ou parce qu’elle est une femme. On a donc affaire à une définition genrée. Une deuxième définition peut être apportée, celle d’un meurtre d’une femme par son conjoint, par son ex-conjoint, ou encore par son ex-compagnon.
Donner volontairement la mort à un individu, quel que soit son sexe, tombe sous le qualificatif d’homicide volontaire, punissable d’une peine de 30 ans de réclusion criminelle. Le terme de féminicide n’existe dans le code pénal. On peut néanmoins constater l’existence d’outils suffisants, sur le plan juridique, permettant de juger un crime dit féminicide.
Emeline Diard, étudiante en droit, a présenté une chronologie des principales lois intervenues dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales.
Maître Caty Richard, avocate au barreau de Pontoise, a fait un état des lieux de la place des victimes de violences conjugales au cours des procès. La victime dans le cas d’un féminicide étant complétement absente, il reste les victimes collatérales généralement représentées par la partie civile. Les enfants sont très souvent présents. Elle a souligné la triple perte qu’ils subissent : celle de leur mère, tuée, de leur père, incarcéré, et de leur domicile.
La prise en charge des victimes
Katia Lecoeuche, psychothérapeute et victimologue, a abordé la question de l’approche des victimes. Comment une personne victime de violence doit-elle être prise en charge ? Pour cela, on doit comprendre sa réalité et la mécanique des violences conjugales. On fait face à un socle qui lie deux personnes : l’une ne va pas reconnaître l’autre en tant que sujet mais en tant qu’instrument. La relation de domination émerge et mène à une véritable emprise du conjoint sur sa partenaire.
On souligne des violences multiformes pouvant être physiques, sexuelles, verbales, psychologiques, numériques, spirituelles, administratives…. Cet ensemble représente différentes pièces de puzzle qui finissent par donner lieu à des violences conjugales.
Un combat national
Marianne Lepaitre, substitute générale de la cour d’appel de Rouen et référente des violences intrafamiliales, a conclu la rencontre en faisant un retour sur l’histoire de la justice face aux violences conjugales. Elle a souligné l’importance d’un combat national permettant la diminution du nombre de féminicides.
Cette conférence, d’une incroyable richesse, a donné lieu à une réflexion conjointe sur ces meurtres indignes de notre civilisation et renforcé la synergie nécessaire entre tous les acteurs, pour mieux juguler ce fléau et de sauver plus de vies.