Futur règlement e-Privacy : quelques préoccupations du CEPD
Selon le Comité, le futur règlement ne devra en aucun cas abaisser le niveau de protection des données qu’offre actuellement la directive « vie privée et communications électroniques ».
Avocat à la Cour d'appel de Paris
Selon le Comité, le futur règlement ne devra en aucun cas abaisser le niveau de protection des données qu’offre actuellement la directive « vie privée et communications électroniques ».
Un propriétaire n’est pas recevable à invoquer la violation du droit à la vie privée et familiale de son locataire.
Nouvelle question prioritaire de constitutionnalité portant sur le recours aux moyens de télécommunication audiovisuelle sans l’accord de la personne concernée devant le juge des libertés et de la détention pendant la crise sanitaire.
Sauf volonté contraire des parties, le prêteur, bénéficiaire du nantissement d’un contrat d’assurance sur la vie donné en garantie du remboursement du prêt, a droit au paiement de la valeur de rachat tant que celui-ci n’a pas été remboursé.
Un pacte d’actionnaires impose à un signataire, par ailleurs salarié de la société, de céder ses actions à première demande de l’actionnaire majoritaire s’il est embauché par une entreprise concurrente. Le prix, par principe déterminé d’un commun accord entre les parties, est payable comptant à la date de la cession sauf si, à la suite d’un désaccord entre elles, le recours à une expertise se révèle nécessaire, auquel cas le prix est payable dans les huit jours de sa fixation par l’expert choisi d’un commun accord ou désigné par le juge des référés. Le pacte prévoit en outre que, en cas de cession intervenant avant une date donnée, le prix de cession de la totalité des actions alors détenues par le minoritaire ne pourra être inférieur à une somme prédéterminée. L’intéressé ayant été embauché par une société concurrente, la société et l’actionnaire majoritaire demandent au juge des référés d’ordonner la cession de ses actions. L’intéressé conteste, en l’absence d’accord sur le prix de vente.
Il ressortait des stipulations du pacte, juge la Cour de cassation, que la formalisation de la cession des actions et le paiement du prix pouvaient intervenir à deux moments différents en cas de désaccord nécessitant un recours à l’expertise, et que ce désaccord sur le prix n’était pas de nature à remettre en cause l’obligation principale pesant sur le minoritaire de céder ses actions. Cette obligation n’était pas contestable et le juge des référés pouvait donc valablement ordonner l’exécution de la cession moyennant le paiement de la part invariable du prix des actions.
A noter : Cette affaire illustre la nécessité de rédiger avec soin les clauses des pactes prévoyant les modalités de la cession forcée de la totalité des actions d’un minoritaire – en pratique de son exclusion – si le majoritaire entend que la «?sortie?» de l’intéressé soit immédiate, notamment pour se prémunir contre des problèmes de concurrence ou de confidentialité.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales n° 69177
Cass. com. 13-1-2021 n° 19-11.726 F-D
La retraite progressive permet à un assuré relevant du régime général de la sécurité sociale, du régime agricole ou du régime des travailleurs indépendants de réduire progressivement son activité professionnelle (en passant à temps partiel ou en diminuant ses revenus professionnels) tout en percevant une fraction de sa pension de retraite.
L’article L 351-15 du CSS en réserve le bénéfice au travailleur indépendant justifiant d’une diminution de ses revenus professionnels et au salarié « qui exerce une activité à temps partiel au sens de l’article L 3123-1 du Code du travail ». Ce dernier article faisant référence à une durée quantifiée en heures, inférieure à la durée légale du travail ou à celle fixée conventionnellement pour la branche ou l’entreprise ou encore à celle applicable dans l’établissement, les salariés travaillant selon une durée du travail exprimée en jours ne sont pas expressément visés. Selon la Cour de cassation, les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année dont le nombre est inférieur à celui fixé par la loi (218 jours) ou par un accord collectif de branche ou d’entreprise ne peuvent pas être considérés comme des salariés à temps partiel. Par conséquent, ces salariés soumis à un forfait jours sont exclus du bénéfice de la retraite progressive (Cass. 2e civ. 3-11-2016 n° 15-26.275 F-D : RJS 1/17 n° 62 ; Cass. soc. 27-3-2019 n° 16-23.800 FS-PB : RJS 6/19 n° 356).
Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la CFE-CGC soutenait que ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, constituaient une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi, voire une discrimination indirecte au détriment des femmes contrevenant au 3e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et au second alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958.
Le Conseil constitutionnel lui donne raison sur le premier point mais reporte dans le temps les effets de sa décision.
Revenant à l’esprit du texte, le Conseil constitutionnel rappelle qu’en instaurant la retraite progressive, le législateur a entendu permettre aux travailleurs exerçant une activité réduite de bénéficier d’une fraction de leur pension de retraite en vue d’organiser la cessation graduelle de leur activité. Or, les salariés ayant conclu avec leur employeur une convention de forfait en jours sur l’année fixant un nombre de jours inférieur au plafond légal ou conventionnel exercent, par rapport à cette durée maximale, une activité réduite. Dès lors, priver ces salariés de toute possibilité d’accès à une retraite progressive, quel que soit le nombre de jours travaillés dans l’année, constitue une différence de traitement qui méconnaît le principe d’égalité devant la loi.
Le Conseil constitutionnel déclare donc contraire à la Constitution les dispositions contestées, sans avoir besoin d’examiner les autres griefs et en particulier la discrimination indirecte invoquée à l’encontre des femmes.
Si la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition conduit en principe à son abrogation dès la décision du Conseil constitutionnel, ce dernier dispose également du pouvoir de différer dans le temps la date de l’abrogation et d’encadrer ses effets sur les situations que la disposition censurée a produites.
Dans le cas présent, le Conseil constitutionnel note que l’abrogation immédiate des dispositions de l’article L 351-15 du CSS déclarées contraires à la Constitution aurait pour effet de priver les salariés à temps partiel du bénéfice de la retraite progressive. Pour éviter de telles conséquences, manifestement excessives, il décide de reporter au 1er janvier 2022 l’abrogation de ces dispositions. Le législateur dispose donc d’un délai pour réécrire en partie l’article L 351-15 du CSS. À défaut, seuls les travailleurs indépendants subissant une diminution de leurs revenus professionnels pourraient, à partir de cette date, solliciter le bénéfice d’une retraite progressive.
Les Sages précisent toutefois que les mesures prises en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. Les retraites progressives des salariés à temps partiel déjà intervenues, ou intervenant avant cette même date, sont donc sécurisées : elles ne pourront pas être remises en cause du fait de cette décision, même en l’absence d’intervention législative d’ici la fin de l’année.
A noter : Le projet de loi instituant un régime universel de retraites adopté le 3 mars 2020 par l’Assemblée nationale et dont l’examen est suspendu en raison de la crise sanitaire prévoyait précisément d’ouvrir le droit à la retraite progressive aux salariés travaillant selon une convention de forfait en jours. L’entrée en vigueur de cette mesure était prévue au 1er janvier 2022. La date fixée par le Conseil constitutionnel pour la prise d’effet de sa décision n’a donc vraisemblablement pas été choisie par hasard. Que ce soit dans le cadre de la réforme des retraites ou dans un autre texte, le législateur devra s’emparer du sujet et réécrire les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel avant la fin de l’année 2021.
Audrey FOURNIS
Pour en savoir plus sur la retraite progressive : Voir Mémento social nos 67735 s.
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Const. const. 26-2-2021 n° 2020-885 QPC : JO 27
Sissi, l’empereur Guillaume II, la reine Victoria et bien d’autres personnalités royales ont régulièrement séjourné en Suisse, y laissant des traces et des anecdotes. swissinfo.ch publie régulièrement d’autres articles tirés du blog du Musée national suisse consacré à des sujets historiques. Ces articles sont toujours disponibles en allemand et généralement aussi en français et en anglais. Personne ne connaissait la Countess of Kent ou la comtesse de Hohenembs. Mais les Suisses ne se laissaient pas tromper par ces noms d’emprunt; ils savaient bien que derrière la Countess of Kent se cachait la femme la plus puissante du monde, la reine Victoria d’Angleterre, et que la Gräfin von Hohenembs n’était autre que l’impératrice Élisabeth d’Autriche, plus connue sous le nom de Sissi. Les Suisses – ces démocrates – accueillaient avec une ferveur toute frénétique les aristocrates célèbres voyageant incognito dans le pays. Lorsque la reine d’Angleterre arriva à Lucerne, une foule en liesse…
Une initiative populaire exige l’interdiction de toute expérimentation animale. La Suisse serait ainsi le premier pays à se passer entièrement de souris et autres rats de laboratoire. Même si la proposition a peu de chances d’être acceptée, les choses avancent dans ce domaine. Le texte de l’initiative est on ne peut plus clair et précis: «L’expérimentation animale et l’expérimentation humaine sont interdites». De même, l’importation de produits qui font l’objet «directement ou indirectement» d’expérimentation animale est interdite. À l’origine de cette initiative populaire, on trouve des associations de défense des droits des animaux qui ont déjà fait voter les citoyens suisses sur des propositions similaires par le passé. Le rejet du Parlement a lui aussi été très clair: l’initiative n’a pas trouvé grâce aux yeux du Conseil national, ni d’ailleurs les propositions de contre-projet émanant des rangs de la gauche. Les exigences des initiants ont été jugées trop radicales par la…
Le hacker Tillie Kottmann, qui vit à Lucerne, a réussi à prendre le contrôle de 150 000 caméras de surveillance d’une société américaine, fournisseur entre autres de Tesla. La police suisse a saisi son matériel informatique sur mandat du FBI
Tillie Kottmann, 21 ans, domicilié à Lucerne est au cœur d’une affaire mondiale de piratage impliquant Tesla, le FBI, ainsi que des prisons et des hôpitaux américains. Chaque jour apporte son lot de révélations sur un hacking dont le cœur, fait extrêmement rare, se trouve en Suisse. Ce piratage jette une lumière crue sur l’interconnexion de systèmes de sécurité, tout comme sur la légèreté avec laquelle il a été géré.
L’affaire éclate il y a une semaine, le 9 mars. Des pirates informatiques publient, sur Twitter, les premières photos volées grâce à leur hack. «Vous vous êtes déjà demandé à quoi ressemble l’intérieur d’un entrepôt de Tesla?» écrivent les pirates, à côté d’une photo prise au sein d’une usine de Tesla située à Shanghai. On découvre aussi des images de l’intérieur du pénitencier de Huntsville, en Alabama. Des photos prises dans des clubs de gym, des entreprises telles que Cloudflare et même des hôpitaux sont diffusées – on voit ainsi des images issues de caméras surplombant neuf lits dans une unité de soins intensifs. Dans une station de police à Stoughton (Wisconsin), un homme menotté est interrogé par la police.
Toutes ces images sont issues de caméras appartenant à la société Verkada, basée à San Mateo en Californie. Spécialisée dans les systèmes de sécurité, elle a vu 150 000 de ses appareils se faire pirater. Par ricochet, tous les clients de Verkada, de Tesla à des prisons, ont ainsi été espionnés par les hackers durant un nombre indéterminé de jours.
Comment un tel piratage a-t-il pu avoir lieu? Simplement, à en croire Tillie Kottmann, qui s’est confié à Bloomberg: il a réussi à trouver sur internet, dans un endroit non protégé, un nom d’utilisateur et un mot de passe de «super administrateur» chez Verkada, lui donnant accès à l’ensemble du système. Le pirate a pu sauvegarder des vidéos – il affirme détenir des milliers d’heures d’enregistrement – et détient même des images prises chez des employés de Verkada dont un jouant au puzzle en famille. Depuis, Verkada affirme que toutes les mesures de sécurité nécessaires ont été prises.
A priori, ce piratage ne répond à aucune motivation financière. Il y a «beaucoup de curiosité, de lutte pour la liberté d’information et contre la propriété intellectuelle, une énorme dose d’anticapitalisme, un soupçon d’anarchisme – et c’est aussi trop amusant pour ne pas le faire», a affirmé Tillie Kottmann à Bloomberg. Le piratage révèle selon lui «l’ampleur de la surveillance dont nous faisons l’objet et le peu de soin apporté à la sécurisation des plateformes utilisées à cette fin, qui ne visent que le profit».
Le Temps a contacté sans succès, via Telegram, le pirate. Le message n’a apparemment pas été reçu, et il n’est pas certain que le hacker possède encore son téléphone.
En effet, la police cantonale lucernoise a mené vendredi dernier un raid au domicile de Tillie Kottmann afin de saisir du matériel informatique, dont sans doute son portable. Contactée, la police refuse d’en dire davantage, mais l’Office fédéral de la justice (OFJ) a confirmé cette information au Temps: «Nous avons reçu une demande d’entraide judiciaire des Etats-Unis dans cette affaire. Sur cette base, l’OFJ a ordonné une perquisition au domicile de la personne que vous avez mentionnée. Cette opération a été réalisée par la police de Lucerne le 12 mars. Pour de plus amples informations, je vous renvoie à l’autorité américaine requérante», a répondu une porte-parole de l’OFJ.
La semaine passée, le FBI affirmait «être au courant d’une intervention de la police en Suisse», sans en dire plus. Le sort de Tillie Kottmann n’est pas connu et on ne sait pas non plus si les Etats-Unis ont déposé une demande d’extradition. «Mon appartement a été fouillé par la police ce matin à 7h00 et tous mes appareils électroniques ont été saisis sur ordre du Département américain de la justice», avait publié récemment un individu signant Tillie Kottmann sur le réseau social Mastodon.
Lire aussi: Le piratage de Swiss, symbole de la hausse du nombre de cyberattaques
Les Etats-Unis seraient intéressés à interroger Tillie Kottmann dans le cadre d’une autre affaire: le piratage du fabricant américain de microprocesseurs Intel. L’année passée, un groupe de hackers dont fait partie Tillie Kottmann avait publié en ligne 20 Go de documents volés à Intel. Le mandat de recherche du FBI, vu par Bloomberg, concerne «le vol et la distribution d’informations, notamment de codes sources, de documents confidentiels et de données d’utilisateurs internes».
Tillie Kottmann fait partie d’un collectif de hackers, nommé Advanced Persistent Threat 69420. Sur son site Deletescape.ch, le développeur d’apps se présente comme un spécialiste Android, le système d’exploitation de Google pour smartphones. «Je suis fasciné par presque tout ce qui est lié à la technologie et je passe donc la plupart de mon temps libre à comprendre comment fonctionnent les choses», écrit sur son site Tillie Kottmann, qui dit aussi faire du «reverse engineeering» (rétro-ingénierie). L’année passée, il a été candidat au Conseil communal de Lucerne sur la liste des Jeunes socialistes
https://www.letemps.ch/economie/un-suisse-pirate-tesla-prisons-americaines
Environ 800 communard·es ont trouvé refuge en Suisse, en particulier à Genève, après la répression de la Commune de Paris et des autres communes insurrectionnelles en France
A l’instar de l’Angleterre et de la Belgique, la Suisse – en particulier la Suisse romande, pour sa proximité géographique, sa langue, mais aussi par la présence de l’Association internationale des travailleurs – a constitué une terre d’exil pour les communard·es recherché·es ou déjà condamné·es. Ou «communeux», pour reprendre l’ancien vocable utilisé par celles et ceux-là même qu’il désigne, comme l’écrivait l’historien Marc Vuilleumier, spécialiste de la question, décédé en janvier dernier.
Quelque 800, sur environ 6000 exilé·es, ont trouvé refuge dans notre pays, dont une majorité à Genève. Il s’agit d’un ordre de grandeur, la surveillance des étrangères et étrangers relevant alors des polices cantonales. La plupart des proscrit·es ont entre 20 et 40 ans et viennent de Paris, mais aussi d’autres villes qui ont connu des communes insurrectionnelles, comme Lyon et Marseille.
Parmi les figures les plus célèbres de la Commune résidant dans notre pays, les journalistes Jules Vallès, Benoît Malon, Jules Guesde, Paul Brousse et Henri Rochefort – qui passera notamment par la Suisse après s’être évadé du bagne de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie –, Eugène Protot, délégué à la justice de la Commune, le peintre Gustave Courbet ou encore le géographe Elisée Reclus.
Des femmes, bien sûr, prendront le même chemin, même si leurs traces sont plus rares. A quelques exceptions près. Citons Virginie Barbet, écrivaine, féministe et militante anarchiste de Lyon, et Victorine Rouchy-Brocher, condamnée à mort pour l’incendie de la Cour des comptes, décrétée à tort morte pendant la Commune, et qui publiera, bien plus tard, ses Souvenirs d’une morte vivante.
«Souvent, elles n’ont ni visage ni prénom, ce sont les femmes de, nous avons rarement des portraits», relève l’historienne Marianne Enckell, autrice notamment de notices pour le Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social.
Le droit d’asile devient une manifestation de l’indépendance nationale
Dans Mes Cahiers rouges au temps de la Commune, le communard et ingénieur Maxime Vuillaume, qui participera plus tard au percement du tunnel du Gothard, s’interroge: «Comment partir. Comment quitter Paris, la France. Gagner la frontière. Quelle frontière? Londres? Bruxelles? Genève? Par où? Avec quel passeport? Nul ne peut voyager en chemin de fer, coucher à l’hôtel, marcher sur les routes sans passeport.»
Pour rejoindre Genève, le communard Gustave Lefrançais emprunta le passeport d’un ami et, pour lui ressembler, se teignit les cheveux en blanc. Il traversa la frontière avec l’épouse de cet ami. A l’époque, il n’y avait pas de photo d’identité dans les passeports, uniquement un signalement.
Dès la Semaine sanglante, le gouvernement de Versailles cherche à empêcher les pays voisins d’accueillir les personnes en fuite et à obtenir leur extradition, rappelle Marc Vuilleumier. La France engage une véritable offensive contre la Suisse qui culmine avec l’affaire Razoua, du nom d’un ancien colonel fédéré. Il sera arrêté sur ordre du gouvernement suisse, puis finalement relâché, Versailles étant incapable de prouver ses accusations de crime de droit commun qui auraient permis son extradition. «Dès lors, le gouvernement français dut renoncer à ses projets et les communeux furent en sécurité», souligne Marc Vuilleumier.
Même le «Journal de Genève, le plus férocement réactionnaire des journaux suisses, grand admirateur de toutes les infamies versaillaises à l’égard des vaincus de la Commune (…) voyant bien que sa clientèle, très conservatrice pourtant, ne le suivra pas sur ce terrain, s’empresse de rentrer les griffes», écrivit à ce sujet Gustave Lefrançais, membre actif de la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste à Genève.
Si la Suisse refuse d’extrader les proscrit·es et accueille un grand nombre de réfugié·es, il lui arrive aussi de céder aux puissances étrangères en prononçant des renvois visant des activistes. «Dans ces cas, les autorités ne livraient pas les personnes concernées, mais négociaient avec un Etat voisin, non directement impliqué, un droit de passage en vue d’une destination finale en Angleterre ou aux Etats-Unis par exemple», précise le Dictionnaire historique de la Suisse. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, cette politique d’asile généreuse devint même un des éléments de l’idéologie servant à la justification de l’Etat fédéral, où le droit d’asile devient une manifestation de l’indépendance nationale.
«Jusqu’en 1890, il y a une belle tolérance, relève encore Marianne Enckell. La société suisse fourmille de Russes et d’Italiens. A Saint-Imier, on envoie un gendarme pour s’enquérir de la situation d’un nouveau venu. S’il a un métier et des ressources, il peut s’établir. Le seul cas d’extradition connu est celui du Russe Serge Netchaïev, recherché pour meurtre.»
La vie des proscrit·es en Suisse n’en est pas moins difficile. Une moitié sont des ouvriers, le plus souvent qualifiés, un quart des employés et un autre quart est composé de professions libérales et indépendantes, et de commerçants ou artisans à leur compte, d’après la recension de Marc Vuilleumier. A Genève, les possibilités d’emploi sont insuffisantes et la crise économique qui débutera en 1873 frappera durement l’industrie dominante, l’horlogerie et la bijouterie. Nombreux sont les communard·es qui connaissent la misère. Poussant même quelques-uns à se transformer en mouchards au service de la police française.
«Il y a eu aussi pas mal de solidarité», indique Marianne Enckell. «Des coopératives de cordonniers et de boulangers sont créées. Un certain nombre de communards sont accueillis dans le Jura, où des compagnons les aident à trouver du travail. Certains se sont casés et n’ont plus fait parler d’eux. D’autres sont rentrés discrètement ou repartis assez vite car ils n’avaient pas été condamnés. D’autres enfin resteront, comme le syndicaliste révolutionnaire Jean-Louis Pindy, condamné à mort par contumace pour avoir ordonné l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris, qui s’installera finalement à La Chaux-de-Fonds.»
Bien qu’il juge le Genevois «froid, son accueil glacé et glacial», Arthur Arnould, journaliste de talent, ancien élu de la Commune et exilé un temps au bout du lac, s’enthousiasme pour son système politique. «Sauf donc sur les questions économiques, où il subit le régime de l’antique organisation du travail, – le peuple de Genève n’a presque rien à désirer. Il jouit de tous les droits, de toutes les prérogatives, de toutes les libertés inhérentes à la dignité d’homme.»
De Suisse, la Commune est vue comme un mouvement «de pouilleux et de subversifs», juge Marianne Enckell. Les proscrit·es se retrouvent dans des cafés, comme celui du Levant, à Genève. Une grande partie d’entre eux adhérent, dès leur arrivée, à la Première Internationale.
Quelle sera leur influence sur le mouvement social en Suisse? Difficile à dire. «Il y a eu des lettres de protestation envoyées au gouvernement français, des journaux étaient publiés ainsi que des manifestes», répond Marianne Enckell. «Certains participent à l’Internationale, à la Fédération jurassienne, mais la majorité passe inaperçue.»
Les conflits politiques et personnels, la disparité des conditions, la réussite des un·es et la misère des autres constituent une source permanente de tension, note Marc Vuilleumier. Certain·es exilé·es s’isolent, perdent le contact avec la réalité sociale tant de la patrie que du pays d’accueil, alors que d’autres parviennent à s’insérer dans les luttes réelles.
Ainsi le bijoutier Bazin dirigea la longue grève de ses collègues genevois en 1871. Le typographe Piéron, à Lausanne, publie dans le Gutenberg, puis participe à Genève à constituer un parti politique ouvrier. Benoît Malon est celui qui jouera le plus grand rôle dans le renouveau du mouvement ouvrier français, estime Marc Vuilleumier. De retour en France, après l’amnistie totale votée en 1880, il poursuivra l’action militante. En revanche, la plupart auront l’impression d’être étranger·ères au mouvement ouvrier entièrement nouveau qui se sera constitué dans l’intervalle.
Le plus célèbre des communards réfugiés en Suisse est sans conteste le peintre Gustave Courbet, à qui l’on doit notamment le tableau L’origine du monde. Président de la Commission des Arts et de la Fédération des artistes, Courbet est élu conseiller municipal du 6e arrondissement. Le 16 mai 1871, il participe à la démolition de la colonne Vendôme, symbole du bonapartisme.
Arrêté, Courbet sera condamné à l’amende et à six mois de prison par le Conseil de guerre pour participation à la Commune. Il est jugé responsable de la destruction de la colonne Vendôme et condamné à en rembourser les frais de reconstruction. Menacé de saisie, Courbet quitte la France avec ses tableaux et s’installe à La Tour-de-Peilz, jusqu’à sa mort, en décembre 1877. Il participe à de nombreuses manifestations locales et passe du temps dans les cafés. Il est accueilli dans de nombreux cercles démocratiques confédérés et dans les réunions de proscrits.
Pour solder sa dette, il peint en série. Des paysages de montagnes, le lac Léman et le château de Chillon, haut lieu touristique depuis la publication du poème de Lord Byron. Il sculpte également un buste de la Liberté, dont des exemplaires se trouvent aujourd’hui à La Tour-de-Peilz et Martigny. CPR
«Gustave Courbet. Les années suisses», catalogue de l’exposition du Musée d’art et d’histoire de Genève, 2014.
SOURCES:
Les exilés communards en Suisse in «Histoire et combats. Mouvement ouvrier et socialisme en Suisse 1864-1960», Marc Vuilleumier, éd. d’en bas et Collège du travail, 2012.
«Souvenirs de deux Communards réfugiés à Genève, 1871-1873», Gustave Lefrançais et Arthur Arnould, présentation par Marc Vuilleumier, éd. Collège du travail, 1987.
https://lecourrier.ch/2021/03/17/la-suisse-terre-dexil-des-communeux/