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Covid-19 : les difficultés organisationnelles sont insuffisantes pour imposer des jours de repos

Par une note de service, une entreprise a imposé, lors du premier confinement, à ses salariés à domicile dont l’activité principale ne peut pas être exercée en télétravail de manière prolongée, la prise de 10 jours de RTT mais également, pour les salariés ne disposant pas de jours de RTT ou plus suffisamment pour l’exercice en cours, la prise de jours épargnés sur leur compte épargne-temps.

L’employeur peut imposer des jours de repos en cas de difficultés économiques

Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 prévoit en effet la possibilité pour l’employeur d’imposer la prise de congés payés et de jours de repos à certaines conditions.

Les articles 2 à 5 de ladite l’ordonnance autorisent notamment l’employeur à imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos ou de RTT normalement au choix du salarié acquis par ce dernier ou à modifier unilatéralement les dates de prise de ces jours. L’employeur peut également imposer l’utilisation des droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates.

Toutefois, le législateur impose à l’employeur plusieurs conditions :

– l’intérêt de l’entreprise doit le justifier eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation de la Covid-19 ;- un délai de prévenance d’au moins un jour franc doit être respecté ;- le nombre total de jours de repos dont l’employeur peut imposer au salarié la prise ou dont il peut modifier la date ne peut pas être supérieur à 10 ;- la période de prise de repos imposée ou modifiée ne peut pas s’étendre au-delà du 31 décembre 2020 ;- le comité social et économique doit être informé sans délai et par tout moyen.

L’entreprise qui adapte son organisation ne justifie pas de difficultés économiques

Un syndicat de l’entreprise conteste en référé l’imposition ainsi faite aux salariés de la prise de ces congés. Il fait valoir qu’une telle mesure est limitée aux entreprises subissant des difficultés économiques liées à la propagation de la Covid-19 et souligne que l’entreprise a, lors de son assemblée générale de l’année 2020, décidé pour la 26e année consécutive de verser 3,95 milliards de dollars de bénéfices à ses actionnaires.

L’entreprise indique de son côté qu’elle pouvait prendre des mesures afin de répondre aux difficultés économiques rencontrées en raison de circonstances exceptionnelles. Elle a dû :

adapter son organisation face à une augmentation inattendue de l’absentéisme tenant au fait qu’une partie de ses collaborateurs se trouvaient à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail ;- aménager les espaces de travail et adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires.

La cour d’appel de Paris, confirmant l’appréciation du premier juge, relève que c’est à l’entreprise d’apporter la contradiction de l’existence d’un trouble manifestement illicite à la partie qui la soulève, s’agissant de dispositions exceptionnelles, dérogatoires au droit du travail.
Elle rappelle également que l’ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 prévoit expressément et clairement que la prise des mesures dérogatoires ne peut intervenir que lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation de la Covid-19.
Il appartient donc à l’entreprise de rapporter la preuve des difficultés économiques liées à la propagation de la Covid-19, ce qu’elle ne fait pas, les mesures d’adaptation dont elle se prévaut ne les caractérisant pas. La cour d’appel conclut, en conséquence, à l’existence d’un trouble manifestement illicite concernant les mesures prises par l’employeur par note de service en l’absence de justification de difficultés économiques liées à la prorogation de l’épidémie.

La cour d’appel de Paris refuse toutefois de recréditer les jours de RTT illégalement imposés ou prélevés sur le compte épargne-temps des salariés concernés. Pour elle, il s’agit de mesures individuelles qui ne relèvent pas de la défense de l’intérêt collectif de la profession mais, le cas échéant, de la seule compétence d’attribution de la juridiction prud’homale.

A noter : Pour la cour d’appel de Paris, les simples difficultés d’organisation et l’absentéisme de certains collaborateurs ne suffisent donc pas à caractériser l’existence de difficultés économiques. L’entreprise doit faire face à de réelles difficultés de trésorerie pour pouvoir prétendre à l’application des dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 et imposer à ses salariés la prise de jours de repos ou de RTT.

On peut s’interroger sur la conformité de l’ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 à la loi d’habilitation du 23 mars 2020. Cette dernière autorise l’employeur à imposer de façon limitée la prise de jours de repos pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie mais n’exige pas expressément de « difficultés économiques » comme l’exige l’ordonnance. Le contentieux sur les mesures exceptionnelles liées à la propagation de la Covid-19 ne semble pas terminé et le juge administratif pourrait être saisi de la question, notamment si le juge judiciaire sursoit à statuer dans l’attente de son interprétation. Une situation qui pourrait intervenir prochainement, le présent arrêt ayant fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

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CA Paris 1-4-2021 n° 20/12215

Le testament du coq Maurice

La loi « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises » vient d’être votée après une série de contentieux de voisinage très médiatisés, notamment à propos du chant du coq Maurice sur l’Île d’Oléron, du tintement des cloches de Bondons en Lozère et du coassement des grenouilles de Grignols dans le Périgord.

Aux côtés des espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les « sons et odeurs qui les caractérisent » font désormais partie du patrimoine commun de la nation (C. envir. art. 110-1, al. 1 modifié). Afin de reconnaître et d’identifier ces sons et odeurs, les services régionaux de l’inventaire du patrimoine culturel se voient confier la mission d’étudier et de qualifier l’identité culturelle des territoires (Loi 2021-85 art. 2, I). Dans les territoires ruraux, les inventaires menés contribueront à connaître et faire connaître la richesse des patrimoines immobilier et mobilier conservés, leur relation avec le paysage et, dans leur diversité d’expressions et d’usages, les activités, pratiques et savoir-faire agricoles associés (Loi 2021-85 art. 2, II). Ces recherches pourront être exploitées pour l’établissement des documents d’urbanisme (Loi 2021-85 art. 2, III), les services chargés de l’inventaire pouvant être sollicités par les collectivités territoriales lors des études préalables à l’établissement des PLU ou des sites patrimoniaux remarquables.

La loi prévoit enfin que, dans les six mois de sa promulgation, soit d’ici le 29 juillet 2021, le gouvernement devra remettre un rapport au Parlement examinant la possibilité d’introduire dans le Code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage. Ce rapport étudiera les critères d’appréciation du caractère anormal du trouble, notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement (Loi 2021-85 art. 3).

À noter : 1. Rappelons que le notariat s’est également emparé de la question. La chambre des notaires du Morbihan a ainsi proposé d’introduire systématiquement dans les avant-contrats de vente d’immeuble une clause par laquelle l’acquéreur reconnaît avoir pris connaissance de l’environnement du bien (SNH 40/20 inf. 13).

2. Le référencement de ces sons et odeurs à l’inventaire du patrimoine national emportera-t-il une exonération de responsabilité sur le fondement des troubles anormaux du voisinage qui en résulteraient ? Non. C’était pourtant l’objectif poursuivi par la proposition de loi, dont la version initiale prévoyait d’insérer dans le Code du patrimoine des dispositions selon lesquelles les nuisances sonores et olfactives inscrites au patrimoine sensoriel des campagnes ne peuvent être considérées comme des troubles anormaux de voisinage (Proposition AN n° 2211 du 11-9-2019 art. 1). Mais le Conseil d’État, saisi pour avis, s’est montré défavorable à un tel principe d’irresponsabilité, pouvant heurter le droit à un recours effectif du plaignant (CE avis 16-1-2020 n° 399419). Moins radical, le texte finalement adopté se concentre sur la reconnaissance de ces sons et odeurs, et leur identification comme composantes à part entière des territoires ruraux notamment, avec l’espoir de désamorcer en amont les contentieux de voisinage qui leur sont liés (Rapport Sén. n° 269 déposé le 13-1-2021). Quant au rapport qui doit être remis au Parlement dans les 6 mois, il s’inscrit dans la perspective plus générale du projet de réforme de la responsabilité civile qui prévoyait déjà de consacrer dans un nouvel article 1244 du Code civil la construction jurisprudentielle bâtie autour de la responsabilité pour trouble anormal du voisinage (Projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13-3-2017 : www.justice.gouv.fr). Rappelons qu’il s’agit d’une responsabilité objective, sans faute (par exemple, Cass. 3e civ. 12-2-1992 n° 89-19.297 : Bull. civ. III n° 44 ; Cass. 3e civ. 13-4-2005 n° 03-20.575 FS-PB : Bull. civ. III n° 89). D’où l’importance de déterminer les critères d’appréciation du caractère anormal du trouble, et notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement, si l’on souhaite contenir le contentieux qui s’est développé ces derniers temps, avec des solutions semant parfois troublantes.

Julie LABASSE 


Loi 2021-85 du 29-1-2021 : JO 30 texte n° 1

La clause d’indexation d’un bail commercial irrégulière peut être partiellement invalidée

En application de l’article L 112-1 du Code monétaire et financier, est réputée non écrite toute clause d’indexation d’un bail commercial prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. Seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite (Cass. 3e civ. 29-11-2018 n° 17-23.058 FS-PBRI : BRDA 24/18 inf. 18).

Un bail commercial prévoit que l’indexation annuelle du loyer ne peut pas avoir pour effet de ramener le loyer révisé à un montant inférieur au loyer de base. Soutenant que cette clause est en son entier réputée non écrite, le locataire demande le remboursement des loyers versés au titre de l’indexation.

La Cour de cassation rejette la demande et juge que seule la stipulation irrégulière de la clause d’indexation devait être réputée non écrite. En effet, seule l’indication d’un loyer plancher était contraire aux dispositions de l’article L 112-1 du Code monétaire et financier. L’appréciation du caractère essentiel et déterminant de la clause d’un contrat relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et, en l’espèce, la cour d’appel avait souverainement jugé que la stipulation critiquée était dissociable des autres dispositions de la clause d’indexation, qui exprimaient la commune intention des parties. 

A noter : La clause d’indexation d’un bail commercial qui crée une distorsion, même minime, doit être déclarée non écrite (Cass. 3e civ. 17-5-2018 no 17-11.635 FS-D : BRDA 11/18 inf. 14). Tel est le cas de la clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse (notamment, Cass. 3e civ. 14-1-2016 n° 14-24.681 FS-PB : RJDA 4/16 n° 261 ; Cass. 3e civ. 10-9-2020 n° 19-17.139 F-D : RJDA 2/21 n° 78).

Dans l’affaire commentée, l’irrégularité de la clause n’était pas discutée. La question se posait de l’étendue de la sanction du « réputé non écrit ». La sanction édictée par l’article L 112-1 du Code monétaire et financier relevant de l’ordre public, le locataire prétendait que la clause d’indexation devait être effacée dans son intégralité.

Seule la partie de la clause qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite, le reste de la clause étant maintenu (Cass. 3e civ. 29-11-2018 n° 17-23.058 FS-PBRI, précité), sauf si la disposition irrégulière présente pour les parties un caractère « essentiel » (Cass. 3e civ. 14-1-2016 n° 14-24.681 précité ; Cass. 3e civ. 10-9-2020 n° 19-17.139).

Le caractère « essentiel » de la disposition critiquée suppose une appréciation de la commune intention des parties, qui relève, selon une jurisprudence constante, du pouvoir souverain des juges du fond. 

Rappelons, enfin, que seule l’organisation contractuelle d’une distorsion est sanctionnée par l’article L 112-1 du Code monétaire et financier. N’est donc pas illicite la distorsion temporelle issue d’une révision judiciaire du loyer  (Cass. 3e civ. 17-5-2018 n° 17-15.146 FS-PBI : BRDA 11/18 inf. 14) ou du décalage causé par la date de renouvellement du bail (Cass. 3e civ. 13-9-2018 n° 17-19.525 FS-PBI : BRDA 19/18 inf. 15).

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit commercial n° 4709

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Cass. 3e civ. 11-3-2021 n° 20-12.345 F-D

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Retrouvez l’interview complète sur ce sujet dans le BRDA 7/21