Alors que la forêt amazonienne joue un rôle essentiel dans l’équilibre du climat mondial, les banques suisses qui financent l’important secteur des matières premières commencent à réévaluer l’impact environnemental de leurs activités. En février, la banque française BNP Paribas, longtemps numéro un mondial du financement des matières premières, a annoncé durcir ses critères en la matière. Elle cesse d’investir dans des entreprises produisant ou commercialisant du bœuf ou du soja issus de terres défrichées en Amazonie. Cette décision a été prise quelques semaines après celles de Credit Suisse et du bancassureur néerlandais ING (dont le département «Trade Finance» se trouve à Genève) de se retirer du pétrole amazonien. Ces instituts ne financent plus les négociants qui achètent et vendent du pétrole provenant de la forêt tropicale en Équateur. L’appui des banques permet aux négociants d’acheter et de vendre de gros volumes de matières premières. Ces établissements financent le flux…
Reto Lipp, expert en économie pour la Radio Télévision Suisse alémanique, ne s’attend pas à une hausse prochaine des taux d’intérêt, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Il estime que la dette nationale est trop élevée pour cela. «La bourse a surmonté le coronavirus.» C’est ce qu’affirme Reto Lipp, expert en politique monétaire. Il travaille pour la Radio Télévision suisse alémanique (SRF) et est l’un des commentateurs économiques les plus influents du pays. La reprise du marché boursier a été «étonnamment rapide», remarque le spécialiste. L’indice boursier américain «S&P 500» est actuellement supérieur d’environ 17% par rapport à son niveau de mars dernier. Reto Lipp estime que ce résultat est possible grâce à la «structure économique intacte». Une structure économique intacte et des mesures d’aide gouvernementales soutiennent le marché boursier Ce n’est toutefois pas la seule explication à la forte hausse des indices boursiers. Les «programmes fiscaux complets» des…
Sur les réseaux sociaux, l’image a fait le tour du monde. Un portrait géant de Kamala Harris taillé dans du verre a été installé temporairement sur le National Mall de Washington. L’auteur de cette œuvre d’art est l’artiste bernois Simon Berger. Menuisier de formation, Simon Berger se passionne pour le caractère indomptable du verre. L’artiste bernois a développé une technique unique: il frappe, brise et éclate ce matériau pour donner vie, en vingt minutes à peine, à des visages stupéfiants de réalisme. «À travers la destruction du verre j’essaie de créer quelque chose de beau. J’utilise un simple marteau de serrurier. C’est un peu comme si j’utilisais un pinceau avec de la peinture blanche», explique-t-il. L’été dernier, c’est lui qui a sculpté des visages féminins sur les abribus du centre-ville de Genève. Son art avait d’ailleurs été pris par erreur pour du vandalisme par les transports publics genevois. Mais son dernier coup d’éclat, c’est un portrait géant de Kamala Harris…
Il y a 150 ans, au lendemain de la Commune de Paris, environ 800 révolutionnaires trouvaient refuge en Suisse. Des destins surprenants, dans un pays en plein essor industriel. Le 18 mars 1871, la Commune de Paris entame son aventure révolutionnaire. En quelques semaines, elle instaure la démocratie directe, l’enseignement laïc, l’armée citoyenne et prend des mesures sociales qui tranchent avec le très conservateur Second Empire (1851-70). A Lyon, Marseille, Saint-Etienne et Narbonne notamment, d’autres communes voient le jour. Mais l’épopée est brève. Fin mai, le gouvernement français installé à Versailles lance ses troupes à l’assaut de Paris. La Commune s’achève dans un bain de sang: entre 10’000 et 20’000 morts, selon les estimations. Parmi les «communards» qui échappent aux massacres, à la déportation dans les colonies ou à la prison, nombreux s’exilent. En Belgique, à Londres mais aussi en Suisse. Combien sont-ils à trouver refuge dans la Confédération? «800 au maximum, dont…
Une décennie après le début des hostilités en Syrie, les besoins restent immenses, alertent les organisations humanitaires suisses et internationales. Bilan en chiffres. Le conflit en Syrie a encore été exacerbé en 2020 par la pire crise économique que le pays ait connue depuis 2011, les sanctions internationales et la pandémie de Covid-19. C’est le sombre bilan dressé il y a quelques jours par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), basé à Genève, sur la situation humanitaire en Syrie dix ans après le début des hostilités. «On a un pays détruit à plus de 80%, un système sanitaire détruit, un système éducatif détruit, avec de surcroît une crise économique de très grande ampleur», résumait récemment un médecin d’une ONG française en Syrie dans une série de reportages de la RTS. Selon les organisations humanitaires, suisses et internationales, les besoins en Syrie et dans les pays voisins restent immenses et l’aide aux personnes déplacées, refugiées et touchées par la…
Au moment où la Suisse se lance dans une vaste campagne de tests pour endiguer une troisième vague de Covid-19, la virologue Isabella Eckerle des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), avertit déjà qu’il ne s’agira pas là d’un remède miracle. À la tête du Centre des maladies virales émergentes des HUG à Genève, elle défend depuis le début de la pandémie une méthode plus agressive en matière de tests. Elle s’est même montrée critique sur l’approche choisie par la Suisse pour maintenir le contrôle de la situation. En août, elle avait alerté sur le fait que la Suisse n’était «pas bien préparée» pour prévenir une deuxième vague. Elle s’était inquiétée autant de «l’absence de stratégie» que «d’une application incohérente des tests». Confrontées à des difficultés d’approvisionnement, les autorités n’avaient pu mener une stratégie de tests pour tout le pays. Les tests gratuits n’étaient alors disponibles que pour les personnes qui présentaient des symptômes ou qui avaient été…
Sissi, l’empereur Guillaume II, la reine Victoria et bien d’autres personnalités royales ont régulièrement séjourné en Suisse, y laissant des traces et des anecdotes. swissinfo.ch publie régulièrement d’autres articles tirés du blog du Musée national suisse consacré à des sujets historiques. Ces articles sont toujours disponibles en allemand et généralement aussi en français et en anglais. Personne ne connaissait la Countess of Kent ou la comtesse de Hohenembs. Mais les Suisses ne se laissaient pas tromper par ces noms d’emprunt; ils savaient bien que derrière la Countess of Kent se cachait la femme la plus puissante du monde, la reine Victoria d’Angleterre, et que la Gräfin von Hohenembs n’était autre que l’impératrice Élisabeth d’Autriche, plus connue sous le nom de Sissi. Les Suisses – ces démocrates – accueillaient avec une ferveur toute frénétique les aristocrates célèbres voyageant incognito dans le pays. Lorsque la reine d’Angleterre arriva à Lucerne, une foule en liesse…
Une initiative populaire exige l’interdiction de toute expérimentation animale. La Suisse serait ainsi le premier pays à se passer entièrement de souris et autres rats de laboratoire. Même si la proposition a peu de chances d’être acceptée, les choses avancent dans ce domaine. Le texte de l’initiative est on ne peut plus clair et précis: «L’expérimentation animale et l’expérimentation humaine sont interdites». De même, l’importation de produits qui font l’objet «directement ou indirectement» d’expérimentation animale est interdite. À l’origine de cette initiative populaire, on trouve des associations de défense des droits des animaux qui ont déjà fait voter les citoyens suisses sur des propositions similaires par le passé. Le rejet du Parlement a lui aussi été très clair: l’initiative n’a pas trouvé grâce aux yeux du Conseil national, ni d’ailleurs les propositions de contre-projet émanant des rangs de la gauche. Les exigences des initiants ont été jugées trop radicales par la…
Comment un Suisse a piraté Tesla et des prisons américaines
CYBERSÉCURITÉ
Le hacker Tillie Kottmann, qui vit à Lucerne, a réussi à prendre le contrôle de 150 000 caméras de surveillance d’une société américaine, fournisseur entre autres de Tesla. La police suisse a saisi son matériel informatique sur mandat du FBI
Tillie Kottmann, 21 ans, domicilié à Lucerne est au cœur d’une affaire mondiale de piratage impliquant Tesla, le FBI, ainsi que des prisons et des hôpitaux américains. Chaque jour apporte son lot de révélations sur un hacking dont le cœur, fait extrêmement rare, se trouve en Suisse. Ce piratage jette une lumière crue sur l’interconnexion de systèmes de sécurité, tout comme sur la légèreté avec laquelle il a été géré.
L’affaire éclate il y a une semaine, le 9 mars. Des pirates informatiques publient, sur Twitter, les premières photos volées grâce à leur hack. «Vous vous êtes déjà demandé à quoi ressemble l’intérieur d’un entrepôt de Tesla?» écrivent les pirates, à côté d’une photo prise au sein d’une usine de Tesla située à Shanghai. On découvre aussi des images de l’intérieur du pénitencier de Huntsville, en Alabama. Des photos prises dans des clubs de gym, des entreprises telles que Cloudflare et même des hôpitaux sont diffusées – on voit ainsi des images issues de caméras surplombant neuf lits dans une unité de soins intensifs. Dans une station de police à Stoughton (Wisconsin), un homme menotté est interrogé par la police.
Mot de passe accessible
Toutes ces images sont issues de caméras appartenant à la société Verkada, basée à San Mateo en Californie. Spécialisée dans les systèmes de sécurité, elle a vu 150 000 de ses appareils se faire pirater. Par ricochet, tous les clients de Verkada, de Tesla à des prisons, ont ainsi été espionnés par les hackers durant un nombre indéterminé de jours.
Comment un tel piratage a-t-il pu avoir lieu? Simplement, à en croire Tillie Kottmann, qui s’est confié à Bloomberg: il a réussi à trouver sur internet, dans un endroit non protégé, un nom d’utilisateur et un mot de passe de «super administrateur» chez Verkada, lui donnant accès à l’ensemble du système. Le pirate a pu sauvegarder des vidéos – il affirme détenir des milliers d’heures d’enregistrement – et détient même des images prises chez des employés de Verkada dont un jouant au puzzle en famille. Depuis, Verkada affirme que toutes les mesures de sécurité nécessaires ont été prises.
«Trop amusant»
A priori, ce piratage ne répond à aucune motivation financière. Il y a «beaucoup de curiosité, de lutte pour la liberté d’information et contre la propriété intellectuelle, une énorme dose d’anticapitalisme, un soupçon d’anarchisme – et c’est aussi trop amusant pour ne pas le faire», a affirmé Tillie Kottmann à Bloomberg. Le piratage révèle selon lui «l’ampleur de la surveillance dont nous faisons l’objet et le peu de soin apporté à la sécurisation des plateformes utilisées à cette fin, qui ne visent que le profit».
Le Temps a contacté sans succès, via Telegram, le pirate. Le message n’a apparemment pas été reçu, et il n’est pas certain que le hacker possède encore son téléphone.
Perquisition à Lucerne
En effet, la police cantonale lucernoise a mené vendredi dernier un raid au domicile de Tillie Kottmann afin de saisir du matériel informatique, dont sans doute son portable. Contactée, la police refuse d’en dire davantage, mais l’Office fédéral de la justice (OFJ) a confirmé cette information au Temps: «Nous avons reçu une demande d’entraide judiciaire des Etats-Unis dans cette affaire. Sur cette base, l’OFJ a ordonné une perquisition au domicile de la personne que vous avez mentionnée. Cette opération a été réalisée par la police de Lucerne le 12 mars. Pour de plus amples informations, je vous renvoie à l’autorité américaine requérante», a répondu une porte-parole de l’OFJ.
La semaine passée, le FBI affirmait «être au courant d’une intervention de la police en Suisse», sans en dire plus. Le sort de Tillie Kottmann n’est pas connu et on ne sait pas non plus si les Etats-Unis ont déposé une demande d’extradition. «Mon appartement a été fouillé par la police ce matin à 7h00 et tous mes appareils électroniques ont été saisis sur ordre du Département américain de la justice», avait publié récemment un individu signant Tillie Kottmann sur le réseau social Mastodon.
Les Etats-Unis seraient intéressés à interroger Tillie Kottmann dans le cadre d’une autre affaire: le piratage du fabricant américain de microprocesseurs Intel. L’année passée, un groupe de hackers dont fait partie Tillie Kottmann avait publié en ligne 20 Go de documents volés à Intel. Le mandat de recherche du FBI, vu par Bloomberg, concerne «le vol et la distribution d’informations, notamment de codes sources, de documents confidentiels et de données d’utilisateurs internes».
Tillie Kottmann fait partie d’un collectif de hackers, nommé Advanced Persistent Threat 69420. Sur son site Deletescape.ch, le développeur d’apps se présente comme un spécialiste Android, le système d’exploitation de Google pour smartphones. «Je suis fasciné par presque tout ce qui est lié à la technologie et je passe donc la plupart de mon temps libre à comprendre comment fonctionnent les choses», écrit sur son site Tillie Kottmann, qui dit aussi faire du «reverse engineeering» (rétro-ingénierie). L’année passée, il a été candidat au Conseil communal de Lucerne sur la liste des Jeunes socialistes
Environ 800 communard·es ont trouvé refuge en Suisse, en particulier à Genève, après la répression de la Commune de Paris et des autres communes insurrectionnelles en France
A l’instar de l’Angleterre et de la Belgique, la Suisse – en particulier la Suisse romande, pour sa proximité géographique, sa langue, mais aussi par la présence de l’Association internationale des travailleurs – a constitué une terre d’exil pour les communard·es recherché·es ou déjà condamné·es. Ou «communeux», pour reprendre l’ancien vocable utilisé par celles et ceux-là même qu’il désigne, comme l’écrivait l’historien Marc Vuilleumier, spécialiste de la question, décédé en janvier dernier.
Quelque 800, sur environ 6000 exilé·es, ont trouvé refuge dans notre pays, dont une majorité à Genève. Il s’agit d’un ordre de grandeur, la surveillance des étrangères et étrangers relevant alors des polices cantonales. La plupart des proscrit·es ont entre 20 et 40 ans et viennent de Paris, mais aussi d’autres villes qui ont connu des communes insurrectionnelles, comme Lyon et Marseille.
Des figures célèbres
Parmi les figures les plus célèbres de la Commune résidant dans notre pays, les journalistes Jules Vallès, Benoît Malon, Jules Guesde, Paul Brousse et Henri Rochefort – qui passera notamment par la Suisse après s’être évadé du bagne de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie –, Eugène Protot, délégué à la justice de la Commune, le peintre Gustave Courbet ou encore le géographe Elisée Reclus.
Des femmes, bien sûr, prendront le même chemin, même si leurs traces sont plus rares. A quelques exceptions près. Citons Virginie Barbet, écrivaine, féministe et militante anarchiste de Lyon, et Victorine Rouchy-Brocher, condamnée à mort pour l’incendie de la Cour des comptes, décrétée à tort morte pendant la Commune, et qui publiera, bien plus tard, ses Souvenirs d’une morte vivante.
«Souvent, elles n’ont ni visage ni prénom, ce sont les femmes de, nous avons rarement des portraits», relève l’historienne Marianne Enckell, autrice notamment de notices pour le Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social.
Le droit d’asile devient une manifestation de l’indépendance nationale
Dans Mes Cahiers rouges au temps de la Commune, le communard et ingénieur Maxime Vuillaume, qui participera plus tard au percement du tunnel du Gothard, s’interroge: «Comment partir. Comment quitter Paris, la France. Gagner la frontière. Quelle frontière? Londres? Bruxelles? Genève? Par où? Avec quel passeport? Nul ne peut voyager en chemin de fer, coucher à l’hôtel, marcher sur les routes sans passeport.»
Pour rejoindre Genève, le communard Gustave Lefrançais emprunta le passeport d’un ami et, pour lui ressembler, se teignit les cheveux en blanc. Il traversa la frontière avec l’épouse de cet ami. A l’époque, il n’y avait pas de photo d’identité dans les passeports, uniquement un signalement.
Versailles fait pression
Dès la Semaine sanglante, le gouvernement de Versailles cherche à empêcher les pays voisins d’accueillir les personnes en fuite et à obtenir leur extradition, rappelle Marc Vuilleumier. La France engage une véritable offensive contre la Suisse qui culmine avec l’affaire Razoua, du nom d’un ancien colonel fédéré. Il sera arrêté sur ordre du gouvernement suisse, puis finalement relâché, Versailles étant incapable de prouver ses accusations de crime de droit commun qui auraient permis son extradition. «Dès lors, le gouvernement français dut renoncer à ses projets et les communeux furent en sécurité», souligne Marc Vuilleumier.
Même le «Journal de Genève, le plus férocement réactionnaire des journaux suisses, grand admirateur de toutes les infamies versaillaises à l’égard des vaincus de la Commune (…) voyant bien que sa clientèle, très conservatrice pourtant, ne le suivra pas sur ce terrain, s’empresse de rentrer les griffes», écrivit à ce sujet Gustave Lefrançais, membre actif de la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste à Genève.
Politique d’asile généreuse
Si la Suisse refuse d’extrader les proscrit·es et accueille un grand nombre de réfugié·es, il lui arrive aussi de céder aux puissances étrangères en prononçant des renvois visant des activistes. «Dans ces cas, les autorités ne livraient pas les personnes concernées, mais négociaient avec un Etat voisin, non directement impliqué, un droit de passage en vue d’une destination finale en Angleterre ou aux Etats-Unis par exemple», précise le Dictionnaire historique de la Suisse. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, cette politique d’asile généreuse devint même un des éléments de l’idéologie servant à la justification de l’Etat fédéral, où le droit d’asile devient une manifestation de l’indépendance nationale.
«Jusqu’en 1890, il y a une belle tolérance, relève encore Marianne Enckell. La société suisse fourmille de Russes et d’Italiens. A Saint-Imier, on envoie un gendarme pour s’enquérir de la situation d’un nouveau venu. S’il a un métier et des ressources, il peut s’établir. Le seul cas d’extradition connu est celui du Russe Serge Netchaïev, recherché pour meurtre.»
Une vie souvent misérable
La vie des proscrit·es en Suisse n’en est pas moins difficile. Une moitié sont des ouvriers, le plus souvent qualifiés, un quart des employés et un autre quart est composé de professions libérales et indépendantes, et de commerçants ou artisans à leur compte, d’après la recension de Marc Vuilleumier. A Genève, les possibilités d’emploi sont insuffisantes et la crise économique qui débutera en 1873 frappera durement l’industrie dominante, l’horlogerie et la bijouterie. Nombreux sont les communard·es qui connaissent la misère. Poussant même quelques-uns à se transformer en mouchards au service de la police française.
«Il y a eu aussi pas mal de solidarité», indique Marianne Enckell. «Des coopératives de cordonniers et de boulangers sont créées. Un certain nombre de communards sont accueillis dans le Jura, où des compagnons les aident à trouver du travail. Certains se sont casés et n’ont plus fait parler d’eux. D’autres sont rentrés discrètement ou repartis assez vite car ils n’avaient pas été condamnés. D’autres enfin resteront, comme le syndicaliste révolutionnaire Jean-Louis Pindy, condamné à mort par contumace pour avoir ordonné l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris, qui s’installera finalement à La Chaux-de-Fonds.»
Le choc des cultures
Bien qu’il juge le Genevois «froid, son accueil glacé et glacial», Arthur Arnould, journaliste de talent, ancien élu de la Commune et exilé un temps au bout du lac, s’enthousiasme pour son système politique. «Sauf donc sur les questions économiques, où il subit le régime de l’antique organisation du travail, – le peuple de Genève n’a presque rien à désirer. Il jouit de tous les droits, de toutes les prérogatives, de toutes les libertés inhérentes à la dignité d’homme.»
De Suisse, la Commune est vue comme un mouvement «de pouilleux et de subversifs», juge Marianne Enckell. Les proscrit·es se retrouvent dans des cafés, comme celui du Levant, à Genève. Une grande partie d’entre eux adhérent, dès leur arrivée, à la Première Internationale.
Quelle sera leur influence sur le mouvement social en Suisse? Difficile à dire. «Il y a eu des lettres de protestation envoyées au gouvernement français, des journaux étaient publiés ainsi que des manifestes», répond Marianne Enckell. «Certains participent à l’Internationale, à la Fédération jurassienne, mais la majorité passe inaperçue.»
Garder le contact avec la réalité
Les conflits politiques et personnels, la disparité des conditions, la réussite des un·es et la misère des autres constituent une source permanente de tension, note Marc Vuilleumier. Certain·es exilé·es s’isolent, perdent le contact avec la réalité sociale tant de la patrie que du pays d’accueil, alors que d’autres parviennent à s’insérer dans les luttes réelles.
Ainsi le bijoutier Bazin dirigea la longue grève de ses collègues genevois en 1871. Le typographe Piéron, à Lausanne, publie dans le Gutenberg, puis participe à Genève à constituer un parti politique ouvrier. Benoît Malon est celui qui jouera le plus grand rôle dans le renouveau du mouvement ouvrier français, estime Marc Vuilleumier. De retour en France, après l’amnistie totale votée en 1880, il poursuivra l’action militante. En revanche, la plupart auront l’impression d’être étranger·ères au mouvement ouvrier entièrement nouveau qui se sera constitué dans l’intervalle.
GUSTAVE COURBET, DE LA COLONNE VENDÔME AU CHÂTEAU DE CHILLON
Le plus célèbre des communards réfugiés en Suisse est sans conteste le peintre Gustave Courbet, à qui l’on doit notamment le tableau L’origine du monde. Président de la Commission des Arts et de la Fédération des artistes, Courbet est élu conseiller municipal du 6e arrondissement. Le 16 mai 1871, il participe à la démolition de la colonne Vendôme, symbole du bonapartisme.
Arrêté, Courbet sera condamné à l’amende et à six mois de prison par le Conseil de guerre pour participation à la Commune. Il est jugé responsable de la destruction de la colonne Vendôme et condamné à en rembourser les frais de reconstruction. Menacé de saisie, Courbet quitte la France avec ses tableaux et s’installe à La Tour-de-Peilz, jusqu’à sa mort, en décembre 1877. Il participe à de nombreuses manifestations locales et passe du temps dans les cafés. Il est accueilli dans de nombreux cercles démocratiques confédérés et dans les réunions de proscrits.
Pour solder sa dette, il peint en série. Des paysages de montagnes, le lac Léman et le château de Chillon, haut lieu touristique depuis la publication du poème de Lord Byron. Il sculpte également un buste de la Liberté, dont des exemplaires se trouvent aujourd’hui à La Tour-de-Peilz et Martigny. CPR
«Gustave Courbet. Les années suisses», catalogue de l’exposition du Musée d’art et d’histoire de Genève, 2014.
SOURCES:
Les exilés communards en Suisse in «Histoire et combats. Mouvement ouvrier et socialisme en Suisse 1864-1960», Marc Vuilleumier, éd. d’en bas et Collège du travail, 2012.
«Souvenirs de deux Communards réfugiés à Genève, 1871-1873», Gustave Lefrançais et Arthur Arnould, présentation par Marc Vuilleumier, éd. Collège du travail, 1987.