Une grève de la SNCF jugée prévisible et surmontable pour un commissionnaire de transport

Un commissionnaire autrichien de transport international met en place une liaison multimodale entre Milan et Paris : l’essentiel du trajet est réalisé par voie ferroviaire et celui entre le terminal ferroviaire et le destinataire final s’effectue par camion. Pour cette dernière partie du transport, le commissionnaire fait appel, à partir de novembre 2011, à un transporteur français qui dédie quatre camions à cette activité. A la suite d’une grève de la SNCF en mars 2016, le commissionnaire réduit, à compter de mai, l’affrètement de camions du transporteur à deux. Puis, par courrier du 29 novembre 2016, il l’informe qu’il n’occupera que deux véhicules jusqu’à fin février 2017. Enfin, il lui notifie, le 23 décembre suivant, qu’il n’utilisera plus qu’un seul camion en mars 2017 et que leur collaboration cessera complètement au 31 mars 2017.

Le transporteur poursuit le commissionnaire au titre de la réduction sans préavis de ses prestations à deux camions à partir de mai 2016, invoquant une rupture de relations commerciales établies, et il lui réclame une indemnisation correspondant à trois mois de chiffre d’affaires par camion (environ 50 000 €). Le commissionnaire soutient alors que la grève de la SNCF du printemps 2016, qui a fortement affecté la liaison Milan-Paris (suppression de trains de fret et baisse de 29 % en moyenne du trafic sur l’année 2016), était imprévisible dans son ampleur et insurmontable dans ses effets et qu’elle a constitué un cas de force majeure justifiant la réduction de l’affrètement des camions du transporteur sans préavis.

La cour d’appel de Paris rejette ces arguments et condamne le commissionnaire à verser au transporteur l’indemnité réclamée. Après avoir affirmé que, en matière contractuelle, la force majeure suppose que l’événement échappe au contrôle du débiteur d’une obligation et ne puisse pas raisonnablement être prévu lors de la conclusion du contrat, ses effets ne pouvant pas être évités par des mesures appropriées, la cour d’appel juge que, même si la grève était extérieure au commissionnaire, ces deux dernières conditions n’étaient pas remplies. En effet, le commissionnaire ne contestait pas sa dépendance à la SNCF, inhérente à son activité ; il en avait fait un élément de négociation des tarifs, après les grèves de 2010 et de 2013, refusant notamment de s’engager sur une période de plus de 21 jours de prestations par mois, et n’acceptant de dédommager son transporteur à hauteur d’une somme forfaitaire de 250 € HT, en cas d’annulation, que quand celle-ci était décidée moins de 24 heures avant ; pendant les grèves de 2016, le commissionnaire avait fait appel à un transporteur ferroviaire italien qui faisait également la liaison Milan-Paris, ce qui lui avait permis de maintenir son activité et de ne pas subir une trop forte perte de chiffre d’affaires sur la période de grève et sur l’année 2016.

A noter : La rupture d’une relation commerciale établie sans préavis suffisant (au regard de la durée de la relation et des usages du commerce ou des accords interprofessionnels) engage la responsabilité de son auteur à moins qu’il ne justifie d’un cas de force majeure (C. com. art. L 442-1, II-al. 3 ; ex-art. L 442-6, I-5° sous l’empire duquel est rendue cette décision). De manière plus générale, la force majeure exonère le cocontractant qui, en raison de celle-ci, a été défaillant dans l’exécution du contrat (C. civ. art. 1218 et 1231-1 issus de ord. 2016-131 du 10-2-2016).

Dans cet arrêt, la cour d’appel de Paris se réfère d’abord aux critères de la force majeure fixés par la jurisprudence avant l’entrée en vigueur de l’article 1218 du Code civil : événement imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible pour celui qui l’invoque. L’article 1218, applicable depuis le 1er octobre 2016, définit la force majeure comme un événement incontrôlable, imprévisible et irrésistible. Ce texte n’avait pas vocation à régir la réduction d’affrètement décidée par le commissionnaire en mai 2016. La cour d’appel fait toutefois référence à cette nouvelle définition dans un second temps. La transposabilité de la solution retenue en l’espèce au régime actuel de la force majeure ne fait donc aucun doute.

Une grève, qu’elle soit interne ou externe à une entreprise, peut constituer un cas de force majeure pour celle-ci (pour des grèves internes, Cass. 1e civ. 11-6-1996 n° 94-14.124 P : RJDA 3/97 n° 324 ; Cass. soc. 11-1-2000 n° 97-18.215 PB : RJDA 2/00 n° 201), dans la mesure où les conditions précitées sont remplies. Par exemple, la SNCF n’a pas pu s’exonérer de sa responsabilité à l’égard d’une entreprise qui lui avait confié le transport ferroviaire de produits frais, abîmés par l’immobilisation du convoi en raison d’une grève des cheminots, dès lors que celle-ci avait été annoncée une semaine avant que la SNCF n’accepte le transport et que cette dernière disposait d’une option pour l’effectuer (Cass. com. 6-5-1997 n° 94-15.589 P : RJDA 8-9/97 n° 1044).

Pour en savoir plus sur ce sujet : voir Mémento Concurrence consommation n° 85151


CA Paris 9-2-2021 n° 20/05074