La preuve dans les procédures de mise en état à l’épreuve des négligences des intervenants.
Au sujet du RPVA et du RPVTC, il a été beaucoup discuté du droit de la preuve et notamment de la preuve de la remise effective d’un acte, ou de conclusions, à une partie ou à son conseil.
Rappelons d’abord ce que dit le code
Pour l’assignation, pas de doute, ce sont les articles 656 et suivants qui remettent cela entre les mains de l’huissier, dont les actes ont une valeur probante particulière, même si l’on sait que dans certaines zones de «non droit» , le facteur des lettres simples passera là où celui des recommandés ne passera pas, et celui des recommandés passera là où l’huissier n’ira pas .. ce qui fait qu’un courrier simple fera se présenter à la barre une partie assignée en 659 CPC.
Pour les conclusions et pièces, la circulaire d’application du décret de 2010 dit précisément :
Il convient de rappeler que dès lors que le calendrier s’accompagnera, en application d’une disposition propre à une juridiction, d’une dispense accordée aux parties de se déplacer à l’audience, ces échanges interviendront par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par notification entre avocats, éventuellement par communication électronique.
En voulant éviter de recourir à une procédure qui marche bien, à savoir le dépôt à la barre, sous la responsabilité d’un greffier professionnel apte à viser et coter immédiatement des écritures, après avoir contrôlé leur caractère parfaitement contradictoire, la circulaire affaiblit grandement la sécurité juridique du processus. En outre la réalité est pire.
Oublions la signification palais, ce n’est pas le sujet, et oublions pour une fois le RPVTC qui permettra donc à tel ou tel d’écrire directement à telle ou telle autre partie, en incluant automatiquement une copie dans le dossier du juge, charge à ce pauvre juge, qui ne sera plus aidé en cela par son greffier remplacé par un système informatique, de trier dans ce qui aura « plus ou moins circulé », ce qui est plus ou moins contradictoire et à quelle date. Bon courage et multiplicité des cassations pour violation du contradictoire à prévoir. Ce sujet a été abondamment débattu par ailleurs et l’est encore.
Intéressons nous plutôt à la bonne vielle lettre recommandée dont il est commun de penser qu’un tiers externe assermenté, le facteur de la Poste, assure en toute indépendance le contrôle effectif de sa remise, comme d’ailleurs le rappelle un arrêté du 21 Mai 2013. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027470308 qui vise a renforcer le contrôle du destinataire
<<Si la personne qui accepte l’envoi a déjà précédemment justifié de son identité à l’adresse, conformément à l’article 4 du présent arrêté, auprès du même employé chargé de la distribution soit en tant que destinataire, soit en tant que titulaire d’un mandat du destinataire en cours de validité, l’employé peut remettre l’envoi sans nouvelle présentation d’une pièce d’identité. L’employé indique alors sur la preuve de distribution et, le cas échéant, sur l’avis de réception, que tel est bien le cas et appose sa signature sur ces mêmes supports pour en attester.
(..)
Au moment du retrait par le destinataire de l’envoi mis en instance, l’employé consigne sur la preuve de distribution les informations suivantes :
– les nom et prénom de la personne ayant accepté l’envoi et sa signature (le destinataire ou son mandataire) ;
– la pièce justifiant son identité ;
– la date de distribution.
La preuve de distribution comporte également la date de présentation de l’envoi.
(..)
Les mentions portées sur la preuve de dépôt, la preuve de distribution et, le cas échéant, l’accusé de réception doivent être libellées en caractères lisibles et sur support durable.>>
Le soussigné, qui lui aussi pensait que le recommandé était quelque chose de sérieux, a eu l’occasion de faire récemment trois expériences qui laissent songeur.
Tout d’abord en tant que destinataire. Une locataire, habitant au dessus de ses bureaux, lui adresse une LRAR à fin de congés d’un bail. Alors qu’il est présent dans ses bureaux, le facteur dépose un avis de passage, et ne tente même pas de présenter la lettre, malgré les procurations postales dûment déposées. Rien que du classique me direz-vous.
Oui mais quand le destinataire se présente à la poste, on lui indique que le pli est « reparti à l’expéditeur » .. ben voyons .. sauf que l’expéditeur, qui je le rappelle habite le même immeuble que le destinataire, ne le recevra jamais non plus.
Le pli a donc été non présenté, puis perdu.
L’expéditeur peut rapporter la preuve d’avoir envoyé un pli AR.
Le destinataire peut rapporter la preuve que la poste a été incapable de lui remettre le pli.
Jolie trame de jugement à venir s’il y a litige entre le locataire et le bailleur.
Et pas question bien entendu du moindre remboursement ni de la prise en compte du dommage créé, en l’espèce le décalage de la date d’un préavis.
Ensuite en tant qu’expéditeur : Utilisant cette fois la LRE, la lettre recommandée électronique, le même envoie un recommandé à un courtier. Quelle n’est pas sa surprise de recevoir deux jours de suite non pas un mais deux accusés de réception « roses », portant tous les deux exactement les mêmes mentions et références, et même n° de série «unique», mais attestant de deux remises au destinataire à deux dates distinctes (pour une seule lettre envoyée). Disons par exemple une fois « reçu le 8 », une fois « reçu le 10 ».
Etonné l’expéditeur adresse une réclamation à la Poste portant notamment sur deux sujets :
– pourquoi une seule lettre envoyée est devenue deux lettres remises ?
– a quelle date précise « la » lettre a été reçue ?
La poste commencera par ignorer soigneusement la première question, organisera des recherches sur le second, et transmettra quelques jours plus tard la réponse … Selon elle la lettre a été remise à son destinataire ni le 8, ni le 10 comme indiqué mais le 7.
Ah bon, et alors comment se fait-il que l’AR soit du 8 ?
Après de multiples relances, et toujours sans la moindre gène, la Poste répondra que le 7 c’est la date à laquelle la Poste a remis le courrier à la « société chargée de la distribution » ( non titulaire d’une procuration) et qu’elle ne peut savoir à quelle date le courrier a été effectivement remis au destinataire.
En investiguant, le soussigné a constaté – et que ce soit par exemple dans des greffes recevant beaucoup de courriers ou dans des entreprises privées ou des centres d’affaires que la procédure appliquée avec la «complicité » de la Poste est la suivante :
- le facteur dépose l’ensemble des courriers et liasses de recommandés sans la moindre vérification
- les employés, externes ou internes du destinataire ont toute latitude pour trier le courrier, l’ouvrir, et ensuite et ensuite seulement décider
- de remplir l’AR à telle date qui leur plait
- de ne pas remplir cet AR et de faire disparaître, après l’avoir lu, le courrier
- de répondre et de retarder à plus tard l’envoi de l’AR
- a la suite de quoi, il rendent le lendemain en bloc à la Poste un « tas » de liasses de distribution et d’AR que la Poste récupère, sans contrôle, et réachemine.
Autrement dit, afin de se simplifier la vie, la Poste
- n’assure absolument pas le travail qu’elle est payée pour faire
- se décharge sur un tiers non neutre (parfois une société prestataire du destinataire, parfois le préposé du destinataire, un comble) , du soin d’attester de la remise ce qui vicie complètement de sens la preuve que la Poste est censée fournir
- viole avec application et régularité l’arrêté cité supra qui ne faisait que renforcer un arrêté précédent.
Imaginez les conséquences juridiques et judicaires qui peuvent en être tirées, si, comme démontré ci-dessus, la mention de la date de première présentation tout comme la mention de la date de réception du pli voire même la mention de remise ou non remise du pli sont fausses par construction et de surcroît laissées au choix du destinataire !
Que doit en penser le juge qui va décider au vu entre autres
- de la production ou non d’une mise en demeure faisant courir des intérêts
- des possibilités ouvertes ou pas au destinataire d’échapper à telle forclusion
- de la nécessité de rejeter ou pas des écritures que l’un prétendra avoir adressées en RAR mais que l’autre prétendra ne pas avoir reçues à la date indiquée
- de la possibilité d’accepter un désistement quand par miracle des écritures reconventionnelles seront parties entre la date où le destinataire a eu en mains les écritures en demandes et celles où il a bien voulu en attester en rendant à la Poste ‘lAR
- etc ..
Bref, nous avons largement parlé des dangers d’une procédure informatisée à la va vite sans prendre en compte son articulation fine avec le CPC, et qui risque de générer des incidents innombrables.
Mais à ceux qui penseraient que l’informatique en est (seule) responsable, il sera ici démontré que c’est plutôt la perte du bon sens qui génère ce genre de situation, et que la même chose peut se produire lorsqu’un maillon de la chaîne, ici le service public des Postes, décide de s’exonérer des obligations qui sont les siennes au visa d’un improbable « fini parti » qui préfère laisser à d’autres le soin de faire le travail correctement.