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L’exclusion des salariés en forfait jours de la retraite progressive est inconstitutionnelle

La retraite progressive permet à un assuré relevant du régime général de la sécurité sociale, du régime agricole ou du régime des travailleurs indépendants de réduire progressivement son activité professionnelle (en passant à temps partiel ou en diminuant ses revenus professionnels) tout en percevant une fraction de sa pension de retraite.

L’article L 351-15 du CSS en réserve le bénéfice au travailleur indépendant justifiant d’une diminution de ses revenus professionnels et au salarié « qui exerce une activité à temps partiel au sens de l’article L 3123-1 du Code du travail ». Ce dernier article faisant référence à une durée quantifiée en heures, inférieure à la durée légale du travail ou à celle fixée conventionnellement pour la branche ou l’entreprise ou encore à celle applicable dans l’établissement, les salariés travaillant selon une durée du travail exprimée en jours ne sont pas expressément visés. Selon la Cour de cassation, les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année dont le nombre est inférieur à celui fixé par la loi (218 jours) ou par un accord collectif de branche ou d’entreprise ne peuvent pas être considérés comme des salariés à temps partiel. Par conséquent, ces salariés soumis à un forfait jours sont exclus du bénéfice de la retraite progressive (Cass. 2e civ. 3-11-2016 n° 15-26.275 F-D : RJS 1/17 n° 62 ; Cass. soc. 27-3-2019 n° 16-23.800 FS-PB : RJS 6/19 n° 356).

Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la CFE-CGC soutenait que ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, constituaient une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi, voire une discrimination indirecte au détriment des femmes contrevenant au 3e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et au second alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958.

Le Conseil constitutionnel lui donne raison sur le premier point mais reporte dans le temps les effets de sa décision.

Des dispositions déclarées contraires à la Constitution…

Revenant à l’esprit du texte, le Conseil constitutionnel rappelle qu’en instaurant la retraite progressive, le législateur a entendu permettre aux travailleurs exerçant une activité réduite de bénéficier d’une fraction de leur pension de retraite en vue d’organiser la cessation graduelle de leur activité. Or, les salariés ayant conclu avec leur employeur une convention de forfait en jours sur l’année fixant un nombre de jours inférieur au plafond légal ou conventionnel exercent, par rapport à cette durée maximale, une activité réduite. Dès lors, priver ces salariés de toute possibilité d’accès à une retraite progressive, quel que soit le nombre de jours travaillés dans l’année, constitue une différence de traitement qui méconnaît le principe d’égalité devant la loi.

Le Conseil constitutionnel déclare donc contraire à la Constitution les dispositions contestées, sans avoir besoin d’examiner les autres griefs et en particulier la discrimination indirecte invoquée à l’encontre des femmes.

…dont l’abrogation prend effet au 1er janvier 2022

Si la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition conduit en principe à son abrogation dès la décision du Conseil constitutionnel, ce dernier dispose également du pouvoir de différer dans le temps la date de l’abrogation et d’encadrer ses effets sur les situations que la disposition censurée a produites.

Dans le cas présent, le Conseil constitutionnel note que l’abrogation immédiate des dispositions de l’article L 351-15 du CSS déclarées contraires à la Constitution aurait pour effet de priver les salariés à temps partiel du bénéfice de la retraite progressive. Pour éviter de telles conséquences, manifestement excessives, il décide de reporter au 1er janvier 2022 l’abrogation de ces dispositions. Le législateur dispose donc d’un délai pour réécrire en partie l’article L 351-15 du CSS. À défaut, seuls les travailleurs indépendants subissant une diminution de leurs revenus professionnels pourraient, à partir de cette date, solliciter le bénéfice d’une retraite progressive.

Les Sages précisent toutefois que les mesures prises en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. Les retraites progressives des salariés à temps partiel déjà intervenues, ou intervenant avant cette même date, sont donc sécurisées : elles ne pourront pas être remises en cause du fait de cette décision, même en l’absence d’intervention législative d’ici la fin de l’année.

A noter : Le projet de loi instituant un régime universel de retraites adopté le 3 mars 2020 par l’Assemblée nationale et dont l’examen est suspendu en raison de la crise sanitaire prévoyait précisément d’ouvrir le droit à la retraite progressive aux salariés travaillant selon une convention de forfait en jours. L’entrée en vigueur de cette mesure était prévue au 1er janvier 2022. La date fixée par le Conseil constitutionnel pour la prise d’effet de sa décision n’a donc vraisemblablement pas été choisie par hasard. Que ce soit dans le cadre de la réforme des retraites ou dans un autre texte, le législateur devra s’emparer du sujet et réécrire les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel avant la fin de l’année 2021.

Audrey FOURNIS

Pour en savoir plus sur la retraite progressive : Voir Mémento social nos 67735 s.

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Const. const. 26-2-2021 n° 2020-885 QPC : JO 27

Une cession forcée d’actions prévue par un pacte peut être ordonnée malgré un litige sur le prix

Un pacte d’actionnaires impose à un signataire, par ailleurs salarié de la société, de céder ses actions à première demande de l’actionnaire majoritaire s’il est embauché par une entreprise concurrente. Le prix, par principe déterminé d’un commun accord entre les parties, est payable comptant à la date de la cession sauf si, à la suite d’un désaccord entre elles, le recours à une expertise se révèle nécessaire, auquel cas le prix est payable dans les huit jours de sa fixation par l’expert choisi d’un commun accord ou désigné par le juge des référés. Le pacte prévoit en outre que, en cas de cession intervenant avant une date donnée, le prix de cession de la totalité des actions alors détenues par le minoritaire ne pourra être inférieur à une somme prédéterminée. L’intéressé ayant été embauché par une société concurrente, la société et l’actionnaire majoritaire demandent au juge des référés d’ordonner la cession de ses actions. L’intéressé conteste, en l’absence d’accord sur le prix de vente.

Il ressortait des stipulations du pacte, juge la Cour de cassation, que la formalisation de la cession des actions et le paiement du prix pouvaient intervenir à deux moments différents en cas de désaccord nécessitant un recours à l’expertise, et que ce désaccord sur le prix n’était pas de nature à remettre en cause l’obligation principale pesant sur le minoritaire de céder ses actions. Cette obligation n’était pas contestable et le juge des référés pouvait donc valablement ordonner l’exécution de la cession moyennant le paiement de la part invariable du prix des actions.

A noter : Cette affaire illustre la nécessité de rédiger avec soin les clauses des pactes prévoyant les modalités de la cession forcée de la totalité des actions d’un minoritaire – en pratique de son exclusion – si le majoritaire entend que la «?sortie?» de l’intéressé soit immédiate, notamment pour se prémunir contre des problèmes de concurrence ou de confidentialité.    

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales n° 69177


Cass. com. 13-1-2021 n° 19-11.726 F-D

Application de la loi dans le temps et calcul de l’enrichissement injustifié

En matière de concubinage, la date du fait juridique ayant entraîné l’enrichissement injustifié permet de connaître la loi applicable au litige pour les conditions d’existence du quasi-contrat. La loi nouvelle est toutefois applicable immédiatement pour le calcul de l’indemnité en résultant. Une fois cette question réglée, la Cour de cassation rappelle l’importance de la plus-value en la matière.

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