Lors de la cession des parts qu’il détient dans une société et dans ses filiales, le cédant se porte garant à l’égard de l’acquéreur dans les termes suivants : « dans le cas où un passif non comptabilisé ou un passif quelconque par rapport à celui porté dans les comptes de référence, mais ayant une cause ou une origine antérieure, viendrait à se révéler, l’acquéreur pourra demander au garant, à titre de réduction de prix, le reversement d’une somme égale au supplément de passif en question […]. Une insuffisance ne donnera lieu à reversement que si elle a des conséquences négatives effectives pour les sociétés et qu’il (sic) provient d’un fait ou d’un événement dont l’origine est antérieure à la date de réalisation […]. La responsabilité du garant à raison des garanties qui précèdent ne pourra être mise en cause que pour des faits antérieurs à la cession ».
Deux mois après la cession, l’acquéreur licencie un salarié de la société holding qui, en arrêt de travail à la date de la cession, a été déclaré inapte par le médecin du travail à exercer tout poste dans la société. Ce licenciement est annulé car l’inaptitude ayant conduit à cette décision était une conséquence du harcèlement moral dont le salarié avait été victime. Condamné à payer environ 65 000 € d’indemnités à ce dernier, l’acquéreur met en œuvre la garantie de passif, faisant valoir que le harcèlement est à l’origine de ce passif, passif qui est donc antérieur à la cession. Le cédant soutient au contraire que ce passif, né du licenciement, est postérieur à la cession et ne relève donc pas de la garantie.
Jugé que les indemnités dues au salarié ne relevaient pas du périmètre de la garantie de passif pour les raisons suivantes : l’acquéreur ne contestait pas avoir eu connaissance du fait que le salarié était en arrêt de travail lors de la cession des titres et que la décision de licenciement pour inaptitude avait été prise par lui seul en toute connaissance de cause alors que, faisant partie d’un groupe employant plusieurs milliers de personnes en France, l’acquéreur aurait pu explorer des solutions de reclassement ; au sens de la convention de garantie de passif, dont les termes étaient ambigus, ce ne sont pas les faits de harcèlement moral qui sont à l’origine du passif nouveau invoqué par l’acquéreur au titre de la garantie, mais la décision de licencier ce dernier.
A noter : La question de savoir si les indemnités dues au titre d’un licenciement prononcé par l’acquéreur après la cession des droits sociaux mais pour des raisons antérieures à cette dernière relèvent de la garantie de passif n’est pas si rare.
Il a été jugé que le licenciement était le fait générateur des indemnités dues à l’ancien salarié, peu important que le licenciement soit le résultat d’un conflit antérieur à la cession, et que, si ce licenciement était postérieur à la cession, les indemnités ne relevaient pas de la garantie couvrant un passif antérieur à la cession (Cass. com. 31-3-2009 n° 08-12.702 F-D : RJDA 10/09 n° 856).
Le raisonnement s’applique en cas de licenciement pour inaptitude du salarié. L’avis du médecin du travail déclarant le salarié inapte à tout emploi dans l’entreprise ne dispense pas l’employeur de son obligation de rechercher des solutions de reclassement au sein de l’entreprise et, le cas échéant, au sein du groupe auquel elle appartient (notamment, Cass. soc. 7-7-2004 n° 02-47.458 FS-PB : RJS 10/04 n° 1028 ; Cass. soc. 16-9-2009 n° 08-42.212 F-PB : RJDA 11/09 n° 848 ; Cass. soc. 15-12-2015 n° 14-11.858 F-PB : RJS 2/16 n° 103). C’est sur cette obligation que se fonde la décision commentée : l’acquéreur n’ayant nullement cherché à reclasser le salarié, le passif invoqué était né du licenciement, et non des causes du licenciement, et n’était pas couvert par la garantie du cédant. La même solution a été retenue à propos du licenciement par l’acquéreur d’un salarié déclaré inapte à certains efforts à la suite d’un accident du travail antérieur à la cession (CA Paris 20-3-2008 n° 07-7204 : RJDA 10/08 n° 1033).
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales n° 17865
Cass. com. 2-12-2020 n° 18-11.336 F-D