« Un parquet européen indépendant et collégial »

Le procureur européen Frédéric Baab explique le rôle et l’organisation du parquet européen qui vient de prendre ses fonctions à Luxembourg. Vingt-deux pays participent à cette coopération renforcée dans le but de mieux lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Quelles sont les compétences du parquet européen qui vient d’entrer en fonction ?

Dès le jour de sa prise de fonction, le 1er juin 2021, le parquet européen a commencé à travailler sur tous les dossiers qui relèvent de sa compétence. Cette dernière couvre l’ensemble des atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne, c’est-à-dire les atteintes aux recettes et aux dépenses de l’UE commises après le 20 novembre 2017 (date d’entrée en vigueur du règlement européen créant le parquet). Le parquet européen aura le pouvoir de rechercher, poursuivre et renvoyer devant les juridictions nationales les auteurs de ces infractions.

Concrètement, en quoi consistent ces atteintes ?

Dans le premier cas (les atteintes aux recettes), on peut citer, par exemple, les fraudes à la TVA ou sur les droits de douane. Concernant les atteintes aux dépenses de l’UE, il pourra s’agir, par exemple, de subventions ou de fonds publics européens détournés. La corruption d’agent public national ou européen en lien avec une atteinte aux intérêts financiers de l’UE, le blanchiment de capital et toute participation à une organisation criminelle dont la principale activité est de frauder les intérêts financiers de l’UE relèvent aussi de sa compétence.

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Comment est organisé le parquet et quel est plus précisément son rôle ?

Vingt-deux pays participent à cette aventure de coopération renforcée. Chacun d’eux est représenté au siège à Luxembourg par un procureur européen chargé de superviser les enquêtes conduites par les procureurs européens délégués (présents eux dans chacun des 22 pays), de participer à une chambre permanente, d’en présider une des 14 autres…  Ce sont ces dernières qui prennent toutes les décisions d’action publique. Les dossiers leur sont confiés à tour de rôle sans spécialisation particulière.

La supervision des procureurs européens délégués par des procureurs européens du même pays n’est-elle pas en contradiction avec le caractère supranational du projet ?

On a privilégié un parquet indépendant et collégial qui représente chaque Etat en tant que tel. Cela ne s’est pas fait sans d’intenses débats ! Mais qui peut superviser une enquête en Allemagne à part un procureur allemand ? Je n’en suis personnellement pas capable. Je ne connais pas assez le droit allemand. Et, j’estime que le lien national n’est pas incompatible avec la nature européenne du parquet. Simplement la justice doit être enracinée dans une réalité nationale.

Peut-on parler d’un parquet indépendant ?

Oui, doublement. D’une part, par les processus de nomination. La cheffe du parquet européen a été nommée (pour sept ans) d’un commun accord par le conseil JAI et le Parlement européen. Comme procureur européen, j’ai été proposé (avec deux autres candidats) par la France puis entendu par un panel d’experts européens et enfin nommé pour six ans par le conseil JAI. Ces fonctions sont non-renouvelables : c’est une autre garantie d’indépendance.

Autre facteur d’indépendance : les dossiers sont traités par les chambres permanentes qui n’ont aucun lien avec le pays concerné. Par exemple, une enquête conduite en France peut être attribuée à une chambre permanente composée d’un procureur allemand, d’un procureur letton et d’un procureur autrichien.

Dans le cas de la France, où exercent les procureurs européens délégués ?

Les cinq procureurs européens délégués sont affectés au tribunal judiciaire de Paris. Comme tous leurs homologues, ils sont compétents en première instance, en appel et peuvent également former un pourvoi en cassation comme les procureurs généraux. Les procureurs européens délégués sont nommés pour cinq ans et renouvelables une fois.