Chronique d’une justice très ordinaire

https://blogavocat.fr/space/gilles.huvelin/content/chronique-d-une-justice-tres-ordinaire_8a74c8dd-9629-4482-90e6-bcac483d36c5

Un fidèle lecteur par ailleurs responsable d’une publication, qui souhaite toutefois resté discret, me fait part de son point de vue sur une audience de juge de proximité quelque part en banlieue parisienne:

« Les grandes juridictions méprisent volontiers cette justice de proximité, de police et d’instance, alors qu’elle est souvent pour le grand public la partie la plus visible de l’institution voire la plus utile.

Dans un Tribunal d’instance, même si la justice se trouve être rendue par un juge de proximité, on ne l’y rend pas moins au nom du peuple français. La salle d’audience ressemble par son ancienneté, sa solennité et son manque d’entretien a beaucoup de salles d’audience d’un pays dont la justice est chroniquement pauvre. A droite siège une greffière, qui est une professionnelle et qui oeuvre avec efficacité, célérité et beaucoup d’humanité face à des justiciables qui, dans cette audience pénale, ne sont que rarement venus de bon coeur.

Là s’arrête malheureusement l’analogie avec la « grande justice ». Le président d’audience est un juge de proximité, et ne porte donc pas la robe de magistrat. Quant au ministère public, on est très loin des grands débats qui agitent le palais sur « l’avantage de menuiserie » que les avocats reprochent aux membres du parquet. Au tribunal de police, le ministère public est représenté par une commissaire de police, qui siège à côté du président de l’audience. Le justiciable est fondé à penser qu’il a en face de lui deux juges accusateurs, et non pas le représentant du parquet et celui du siège. Nous y reviendrons.

Quelques dizaines de personnes dans la salle, appel des causes, le premier prévenu s’approche, et le ton est tout de suite donné. Le prévenu avait dans l’idée de contester la prévention retenue à son encontre. Le président l’arrête tout net : « Ici Monsieur, vous êtes dans un tribunal pénal, c’est au prévenu de faire la preuve de son innocence et non au tribunal de faire la preuve de sa culpabilité ». Le prévenu, repart, condamné et groggy.

Derrière cette formule à faire bondir n’importe quel juriste, et même, n’importe quel citoyen un peu instruit, se cache sans doute une demi réalité, c’est que les préventions sont établies par des policiers assermentés, et dont les incriminations font foi jusqu’à preuve apportée du contraire. Mais le principe de la présomption d’innocence et d’impartialité du juge n’en sortent pas moins inquiets. On peut bien rire des prévenus trop férus de séries américaines qui appellent le président « votre honneur », mais on voit qu’il n’y a pas que le premier magistrat de France qui confond parfois prévenu et coupable.

Et les dossiers se succèdent, les uns après les autres … interrogatoire d’identité et aussi de revenu, qui agace les prévenus qui ne comprennent pas que cela sert à adapter éventuellement la condamnation à leurs moyens, déclaration du prévenu sur ce qu’il a à dire, réquisitoire souvent très simplifié du ministère public, la parole au prévenu, quelques secondes de silence, et tombe le verdict « le tribunal après en avoir délibéré vous déclare coupable de … et en répression vous condamne à ….. ». Hop, au suivant ..

C’est à la toujours aimable greffière que revient le soin d’expliquer au condamné qui n’a souvent rien compris, ce à quoi il a été condamné, comment s’en acquitter, et pourquoi il a intérêt à s’en acquitter vite et les éventuelles voies d’appel.

Quelques causes bénéficient d’un avocat, ce qui a le double mérite de permettre un début de commencement d’égalité des armes, et aussi de passer en début d’audience, afin de ne pas trop immobiliser les robes noires.

Revenons un instant sur l’avantage de menuiserie. Au tribunal de police du coin, il est exorbitant. Non seulement le « ministère public » est assis à la droite du juge, non seulement il requiert assis là où d’autres qui ne confondent pas siège et parquet requièrent debout, mais il y a mieux encore. Sur la petite centaine de causes de cet après midi là, j’ai noté au moins une dizaine de fois où le policier représentant le ministère public et le président d’audience conféraient à voix basse à l’oreille l’un de l’autre, de manière parfaitement inaudible pour la salle et même pour le prévenu à la barre. Et ce avant de requérir, ou même pendant que le justiciable présente sa défense, qui visiblement n’intéresse pas grand monde. A deux reprises même, le conciliabule a eu lieu pendant la phase qui suit le moment où le prévenu a « parlé en dernier » et le prononcé de la sentence, phase que des gens trop habitués à la « grande justice » pourraient prendre pour le délibéré.

Et l’après midi passe et passe, avec un entraînement qui fait que le ministère public requiert de plus en plus vite, parfois sous forme d’un simple montant, et que le juge condamne à un montant qui va souvent vers la moitié de la réquisition, sauf quand le ministère public, en requérant 150 euros, fait en sorte d’éviter tout appel possible.

Alors chemin faisant, on perd les bons réflexes. En seconde partie d’après midi, apparaît un glissement issu de la volonté d’aller de plus en plus vite. Le ministère public peut alors, sans que personne ne lui en fasse la remarque, ajouter ses commentaires après que le prévenu ait eu la parole en « avant-dernier », et sans qu’on juge utile de la redonner au dit prévenu. Une seule fois, devant l’air un peu interloqué d’un avocat, le président se reprendra et bredouillera .. euh Maître, vous souhaitiez ajouter quelque chose ? L’avocat, qui était entrain de remballer sa robe, n’insistera pas.

A la toute fin de l’après midi, juste avant la condamnation à la chaîne de ceux qui ne se sont pas présentés et ont perdu non pas l’occasion de se défendre, mais celle de voir comment ils sont condamnés, un justiciable fait un peu de la résistance. Il vient volontairement car il conteste la rédaction d’un PV de police qu’il estime renfermer lui-même sa propre contradiction. Le ministère public sort de son propre dossier un rapport manuscrit, le montre discrètement au président d’audience et en confère aimablement avec ce dernier. Le prévenu demande à pouvoir en prendre connaissance, au nom de l’égalité des armes et du contradictoire. Le président le remettra sèchement à sa place « pas question, vous n’aviez qu’à le demander avant ». Allez hop, réquisitoire, condamnation, et que ça saute … Ledit prévenu qui avait eu la faiblesse de croire ce qu’on lui racontait quand il suivait les cours de l’Ecole Nationale de la Magistrature, en rit encore. Après avoir tenté deux fois un poli « je me suis mal exprimé », puis un « je me suis mal fait comprendre » il constatera qu’il n’est pas invité au conciliabule parquet-siège et en restera là.

Voilà ce qu’est une après midi dans un petit tribunal d’une ville toute proche de Paris. Rien de bien grave, et les prévenus qui étaient là, très souvent pour des infractions routières ou de voisinage, le dernier inclus, n’étaient sans doute ni tous innocents ni tous de bonne foi. Mais ce genre de tribunal se devrait aussi d’être un lieu de pédagogie de la justice, qui applique la vieille maxime « tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait ».

NDLR : Même si la justice semble prendre quelques libertés avec le contradictoire, nous avons souhaité respecter la contradiction et avons adressé le projet de cette chronique au président dudit Tribunal, afin de lui proposer de s’exprimer à ce sujet.Il a malheureusement du décliner notre offre, en nous écrivant qu’il était « au regret de devoir indiquer qu’il était réticent à cet exercice tant les questions de justice sont complexes et pour être évoquées sérieusement, justifient d’y consacrer beaucoup de temps, ce dont je ne dispose malheureusement pas» . Nous ne pourrons donc vous faire connaitre sa position, ni par interview ni par droit de réponse. «