Autant en emporte le temps

Un de nos professionnels du droit auteur anonyme témoin de nos pratiques m’envoie un texte sympathique qui décrit nos « problématiques  » sous le tritre : »Autant en emporte le temps ». Ce regard, à peine extérieur mérite d’être suivi pour nous remettre peut-être en cause :

« D’un côté le métier de l’avocat le conduit à devoir facturer au client qui a parfois du mal à le comprendre le quart d’heure qu’il passe au téléphone sur son dossier, et de l’autre, les tribunaux et les cours excellent à lui faire perdre la moitié de sa journée.

Qui d’entre-vous n’a pas déjà fait 800 kilomètres et perdu une journée pour apprendre à l’arrivée qu’il ne plaiderait pas car le dossier était renvoyé à une audience ultérieure, suite à une manoeuvre peu confraternelle d’un contradicteur, ou pire .. suite à un dossier mal classé par le greffe, une surcharge de l’audience, une erreur dans la citation du prévenu, ou .. une simple envie du siège de profiter du soleil de fin d’après midi pour aller à la pêche.

Lequel n’a pas, jeune avocat, eu la tentation de calculer le ratio entre le temps qu’il passe à plaider et celui qu’il passe à attendre en salle d’audience ou en salle des pas perdus son tour dans un rôle où il est le 23ème sur 22 ?

N’y a-t-il pas une sorte de mépris de la profession qui consiste à convoquer tout le monde à l’ouverture de l’audience, laisser les avocats qui n’ont pas déjeuné négocier avec l’huissier audiencier l’ordre de l’audience, et tenter de retenir telle affaire, pour ensuite les traiter au fil de l’eau, tant pis si cela se traduit par une après midi d’attente pour 10 minutes de plaidoirie.

Certes, diront les victimes de l’informatisation et du Redoutez, (le) Pire (il) Vous Attend, l’attente en salle des pas perdus est un moindre mal par rapport à l’informatisation de certaines juridictions qui ont décidé d’autorité de convoquer les affaires devant chaque juge de 20 minutes en 20 minutes, ce qui conduit mécaniquement l’avocat qui a trois dossiers à être convoqué à la même heure devant trois juges différents dont deux au moins lui reprocheront son retard. Ah bon le quantum n’est pas de 20 minutes ? Bah, c’est pour prendre un exemple ..

Mais ce n’est pas mieux pour le siège ni pour le parquet.

Petite incursion dans une chambre correctionnelle. La longue lecture de la prévention et du casier généralement touffu des invités du jour est sans doute nécessaire pour se faire une idée du sujet. Mais à part le public, on imagine que le parquet et les 2 magistrats autres que le rapporteur et les avocats côté partie civile et côté mis en examen les ont déjà lus non ? Ah bon ..

L’interrogatoire d’identité est certes une sécurité, mais …. est-ce vraiment un acte juridictionnel ou une importation d’une nécessité administrative qui mobilise inutilement 3 juges et un procureur ?

Et que dire de la plus ou moins exacte traduction « live » – de plus en plus courante en correctionnelle ce n’est pas un jugement de valeur ni une position politique c’est une constatation – qui ralentit tout le monde et qui fait parfois trembler quand on a le malheur de comprendre la langue du prévenu et de compter les contre-sens faits par le traducteur. En résumé, l’un lit le casier imprimé par un greffe, que l’autre traduit au fil de l’eau, puis le même lit l’ordonnance de renvoi que le second traduit au fil de l’eau. Ne serait-il pas imaginable de faire traduire par écrit ces documents avant et de les donner à lire aux prévenus pour les occuper pendant leur long séjour à la souricière et se contenter de vérifier qu’ils en ont eu connaissance ?

Et quid d’un parquet, (quand on titre « autant en emporte le temps », il faut bien un personnage couleur « Scarlet »), qui use prématurément les articulations de ses genoux à se dresser pour requérir la même chose 130 fois de suite en 6 heures dans 130 dossiers identiques que, heureusement pour la justice et malheureusement pour son arthrose, le code interdit de traiter en «bloc».

Finalement n’y a-t-il pas une sorte de négation de l’importance de la plaidoirie quand on constate le peu de temps qui y est consacré par rapport au reste du temps d’attente, de déplacement et d’administratif divers ? C’est bien sur dans un contexte de procédure orale, CPH, TC ou TGI en formation correctionnelle, CA .. que se place ce billet, les procédures écrites TGI-Civil ou TA relevant d’une toute autre logique.

Tout ceci est certes une question d’individu, et l’on est parfois « déçu en bien » de voir un procureur que l’on pensait somnolent axer ses réquisitions sur tel détail important de l’interrogatoire du prévenu ou d’un témoin ou le président d’audience que l’on pensait occupé à conférer à voix basse avec son voisin de droite montrer qu’il écoutait néanmoins. Mais j’ai aussi quelques souvenirs récents d’une présidente conférant à voix basse avec une secrétaire qui venait de rentrer, pour ensuite couper l’avocat qui commençait juste à plaider, d’un « finissez maître, je dois descendre dans 5 minutes à une AG qui vote sur la poursuite de notre grève.». Brr ..

Qui n’a pas également dû appeler 20 fois le service des copies pénales, ou lui rendre visite 5 fois, pour se faire 20 fois répondre après 5 minutes de recherches, et donc 1h30 de perdu par ledit service que « nous n’avons pas encore eu le temps de vous faire une copie », tâche qui prend sans doute 10 minutes recherche, photocopie et affranchissement inclus, soit à peine plus que le temps de répondre deux fois de suite « pas le temps, débordés ».

Il ne faut certes pas tomber dans la caricature de l’organisation appliquée à tout prix à un secteur qui relève d’autres logiques. Saint-Louis nous garde d’une justice trop expéditive comme celle que Bravitude-Jane souhaitant prendre comme exemple outre Grande Muraille ou celle qu résulte de la lassitude de l’après midi décrite ici http://avocats.fr/space/gilles.huvelin/content/chronique-d–39-une-justi… et qui ressemble un peu trop à la troisième messe basse de Daudet.

Il n’est pas question de réorganiser les cours à la façon bien connue dont certains consultants proposaient de traiter les orchestres symphoniques http://manag.r.free.fr/humour_orchestre_symphonique.html ni de favoriser les excès rapportés ici http://avocats.fr/space/bogucki/content/ces-tribunaux-qui-refusent-les-p… .

Mais ne serait-il pas quand même temps de remettre en cause certaines habitudes et usages qui certes relèvent d’un charme un rien suranné, mais sont aussi responsables du délai de traitement des causes qui dans certains tribunaux notamment professionnels ou CPH deviennent insupportable au justiciable et d’une perte de temps considérable pour l’ensemble des intervenants de la chaîne judiciaire ?

Mais ça c’est un challenge pour les d’auxiliaires de justice … ou bien ils trouveront le temps et l’énergie d’être force de proposition sur le sujet, ou bien ils peuvent s’attendre un de ces jours à ce que leur tombe dessus une réorganisation pensée par des organisateurs de la chancellerie via un projet dont le nom pourrait être … par exemple … Ruiner Préventivement Votre Agenda ? »