L’oralité devient-elle le monopole du parquet ?
In M@g le magazine des avocats
Avocat à la Cour d'appel de Paris
In M@g le magazine des avocats
In Le Grand Juriste, pages 14 et 15
http://www.lepetitjuriste.fr/wp-content/uploads/2016/06/LGJ4_web-2.pdf
L’auteur des « lettres persanes » était prolixe. Sa correspondance a été dispersée et des fragments ont subi les avanies des évènements. Une lettre encore inconnue du public a été retrouvée dans un vieux grenier d’un manoir flanqué de deux tours rondes, pompeusement appelé château. Cette demeure contemporaine de Montesquieu me fait penser par son architecture au château de Monthyon. N’y voyez pas là un aveu ou une piste pour révéler l’identité du dernier détenteur de cette correspondance romanesque parvenue jusqu’à nous par les méandres de l’histoire. L’authenticité du texte, dont malheureusement l’introduction s’est perdue, ne permettant pas d’identifier la ville de l’immersion du scripteur, n’est pas contestée par les érudits qui se sont penchés dessus. Dans une version moderne, il m’est donné d’en porter connaissance au plus grand nombre car je le trouve édifiant pour nos mœurs contemporaines, la nature humaine ne changeant pas à travers les âges. Toutefois, en le relisant, je le trouve chaque fois plus transposable au fonctionnement d’une autre institution dans les couloirs de laquelle il m’arrive encore de me promener pour me rendre dans la vénérable Bibliothèque dont l’accès m’est autorisé car il est lié à mon état. Plus je lis ce texte et plus je me dis qu’il est descriptif des effets de « la réforme Magendie » en l’état des moeurs et de leurs effets, sur le fonctionnement de notre Cour d’Appel. Je me fais la réflexion que l’auteur a commis des textes qui sont contemporains à toutes les époques, tant les hommes sont de tous les temps et partout les mêmes et reproduisent en chaque occasion l’application de leurs constantes qualités.
Je vous souhaite bonne lecture, gens de bonne intelligence et de réflexion sur notre époque.
« Il s’agissait d’un hôpital. Pas un petit hôpital, un grand hôpital, même un hôpital capital .. mais sans une capitale au début de son nom, contrairement à l’Hôpital contigu. Cet hôpital était installé dans des locaux très anciens; régulièrement modifiés de nombreux ajouts alambiqués accumulés à travers les âges; qui ont subi autrefois un grand incendie détruisant beaucoup, mais restés aussi prestigieux que peu fonctionnels et très vastes au point de ne plus savoir quoi faire des espaces au moment où survenait la fermeture de lits ainsi que le regroupement des services sanitaires dans des constructions neuves d’empilement excentrées édifiés à la gloire de potentats dispendieux. De fait, ce lieu chargé d’histoire était tristement vide, depuis que les premiers soins avaient été déménagés dans l’amoncellement un peu pharaonique que j’ai décrit, façon astucieuse sans doute de soigner leur éventuelle peur d’être regardés de haut ou de les entraîner à avoir moins peur du vide conceptuel de l’inanité de la fonction de soigner des gens qui doivent un jour mourir quoiqu’il arrive. Cet hôpital pourtant « capital », ainsi vu par tous en ce pays, ne soignait pas n’importe qui. Ne pouvaient prétendre à s’y faire soigner que ceux sur qui les premiers secours déménagés avaient échoué, sauf à ce qu’ils soient mécontents des soins donnés ou qu’ils souhaitent des soins plus radicaux ou plus simplement qu’ils aient pris goût à l’odeur de la bétadine. Il y avait aussi des malades relevant de rares spécialités qui ne pouvaient donc dépendre d’hôpitaux régionaux. Une partie de l’hôpital n’était accessible qu’aux patients accompagnés d’un brancardier spécialisé, tout de noir vêtu à l’exception d’une forme de jabot plat, parfois jauni à la pliure du col. La complexité du brancardage avait même conduit à la pratique de brancardier spécialisé évitant aux patients et aux brancardiers amateurs de se perdre dans les couloirs formés de dédales sur plusieurs étages de l’hôpital. Ce métier avait ensuite été supprimé, au grand dam des patients qui devaient payer le coût de brancardage sans avoir de brancardier aguerri. Et on ne comptait plus les accidents de couloir générés par des amateurs, plus branquignols que brancardiers. Ce n’est un secret pour personne, les hôpitaux sont encombrés. Les médecins locaux avaient donc élaboré des examens préalables extrêmement efficaces pour expulser les patients. Avant même de commencer à étudier la maladie du patient, un examen attentif de la couleur, du format, des agrafes et reliures de son dossier permettait de le renvoyer chez lui, avec une bonne ordonnance qui en général ne le soignait pas, mais le guérissait de l’envie de revenir. On avait amélioré la technique du “dites trente-trois » en un terrible “dites neuf cent et un chiffre de votre choix », histoire de voir si la victime potentielle des Diafoirus avait son autonomie mentale. S’il ne proférait pas le bon nombre ainsi composé de neuf cent et du chiffre auquel le Docteur pensait, le malade était éconduit. Il pouvait toujours se plaindre de l’ineptie du procédé, le recours était porté devant un collège qui usait de la même façon, de sorte que le hasard appelé chance permettait d’accèder à l’étape suivante du parcours hospitalier, car c’est de cela qu’il s’agit. Car malgré cette barrière d’entrée, certains patients arrivaient encore à entrer dans le couloir des consultations. Du coup, une seconde technique était mise en place. Elle consistait à les entasser dans des lits superposés pour un ou deux et les laisser mûrir deux ou trois ans, en leur disant de loin en loin que leur tour surviendrait. Premier avantage, le patient pouvait mourir en attendant. Second avantage, pour peu qu’il vieillisse un peu, il aurait oublié de quoi il était malade. Et comme certains pharmaciens se faisaient un plaisir de lui faire payer la location du lit, il y avait aussi ceux qui avaient la bonne idée de rentrer chez eux tous seuls. Pour en dissuader d’autres, on pouvait aussi leur prescrire de coûteuses réunions avec un psychologue chargé de les convaincre à leurs frais qu’ils n’étaient pas malades. Une troisième technique était mise en place, consistant à considérer qu’un patient qui n’avait pas sonné ou hurlé qu’il avait mal depuis deux ans était sans doute mort. Son lit pouvait être libéré à la demande de tout autre patient debout. Du coup, les patients astucieux s’étaient munis de coucou-clocks qui sonnaient “aie” à intervalles réguliers. Mais malgré tout, tous les patients ne mourraient pas en route. Bien que certains qui s’étaient perdus dans les couloirs à la recherche du sort de leur dossier médical avaient été retrouvés morts et desséchés. Ce qui arrivait aussi à des brancardiers qui ne trouvaient pas la sortie. Et soigner sans arrêt des patients qui viennent perturber les moments de tranquillité, en se plaignant tous des mêmes maladies et en s’obstinant à ne pas suivre le traitement préconisé par les premiers soins …. disons le tout net, c’était fatigant. Alors pour délester un peu le travail, l’hôpital engageait chaque semestre une armée d’internes. Cette population, jeune et inexpérimentée, était chargée de déshabiller le patient, de l’ausculter, de lui faire les analyses nécessaires, de mettre au propre son histoire et éventuellement de préconiser des traitements. Elle se relayait d’année en année, trop contente d’apprendre comment soigner si elle rêvait de devenir médecin ou d’apprendre comment patienter si elle rêvait de devenir patient ou brancardier. Ces hordes de jeunes évitaient à ceux des médecins qui n’ont pas une passion pour le contact avec les patients de risquer d’attraper une maladie en approchant desdits patients. Les internes en question ne semblaient pas trop se plaindre de leur sort. Ils étaient certes rémunérés au tarif de celui qui travaille et qui ne sait pas, très inférieur au tarif de celui qui – notamment – sait. Mais ils pouvaient en profiter pour parfaire leur bronzage sur les marches de l’hôpital et assister à des opérations, ce qui leur permettait pour plus tard de s’entraîner à souffrir ou à charcuter selon le camp qu’ils choisissaient. Et c’était particulièrement utile car à devenir brancardier, avant de bien maîtriser leur métier dans la circulation des couloirs tordus, au parquet dangereux, à la lumière défaillante, il y avait toujours des bras cassés. On parlait à demi-mots de médecins qui, en fréquentant trop les patients, avaient attrapé des tours de reins, des insomnies, voire même une terrible maladie, l’empathie. Mais heureusement, la mise en place de cabinets de consultations avec vitre de protection, et la quasi-interdiction aux malades d’ouvrir la bouche en présence des médecins avait rapidement mis fin à tout risque que l’un fracture les oreilles de l’autre en essayant de lui expliquer ce qu’il ressentait. D’autres mesures dissuasives avaient été mises en place. Notamment l’obligation de fournir un certificat de vie de celui qui vous avait rendu malade et qu’on souhaitait assassiner. Au cas où le responsable serait mort de mort naturelle, cela faisait un cas de moins. Cette procédure permettrait avec régularité de vider les lits. Deuxième mesure astucieuse, obliger le patient à rapporter l’entier de son dossier médical, imprimé sur des feuilles dont la couleur était soigneusement choisie, et attaché avec des pansements dont le format était imposé. Et tant qu’à faire obliger le patient à apporter son dossier deux semaines avant tout espoir de consultation afin de pouvoir pendant la consultation lui fermer le bec d’un sec “ la faculté a lu votre dossier, finissez”. Troisième mesure encore plus astucieuse, d’autant plus que ne figurant dans aucun traité de médecine, obliger le patient à apporter un échantillon de son sang et de ses urines dans une petite fiole transportable. Pourquoi faire alors que leurs analyses étaient disponibles dans le volumineux dossier obligatoire ? Ah bah oui mais le dossier était bien lourd à transporter et les médecins souhaitaient parfois se dispenser d’avoir à le porter et préféraient renifler les urines eux-mêmes. Certes, la plupart du temps, les précieuses fioles scellées à la cire étaient retournées aux patients, non ouvertes, mais c’était néanmoins devenu une coutume. On raconte que l’expression “il se paye ma fiole” vient de là. Les médecins n’étaient bien sûr pas les seuls à travailler à l’hôpital. Il y avait aussi les infirmières. Les deux corporations, bien que travaillant ensemble avaient une forte propension à rappeler régulièrement qu’elles n’avaient pas gardé les microbes ensemble et que chacun avait sa place et sa fonction dont il convenait de ne pas sortir. Les unes étaient sous l’autorité d’une direction des soins infirmiers dont la principale préoccupation était l’absence de bruit dans les couloirs et d’éviter à tout prix une élévation de température. Une méthode imparable avait été développée, casser le thermomètre ce qui évitait tout coup de chaud. Quant aux médecins, ils dépendaient plus ou moins d’un médecin chef, mais avec une grande habitude d’autonomie, issue pour certains d’entre eux du fait qu’il était quasi-impossible de les changer de salle d’opération contre leur gré. L’hôpital est toutefois un milieu éminemment dangereux et où les médecins auraient pu attraper les pires maladies. Pour éviter cela on s’efforçait de les changer régulièrement de spécialité car la compétence acquise pouvait se révéler nuisible à ceux qui ne l’avait pas atteinte. On les changeait aussi de lieu afin qu’ils ne copinent pas inutilement avec les malades ou les brancardiers. Du coup, certains habitant un peu loin de leur salle d’opération commençaient de réfléchir à la bonne technique opératoire de chez eux, et continuaient la réflexion dans le train. Ainsi de trois jours de présence obligatoire à l’hôpital, il en faisait une après-midi, puis une journée complète et une matinée, de sorte qu’ils pouvaient prétendre être bel et bien trois jours à l’hôpital. De toutes les façons, chaque trimestre, une période de sanatorium était organisée pour s’assurer qu’ils ne s’habituent pas inutilement à voir passer des patients. Et pourtant, tous n’en mourraient pas même si tous étaient frappés.
Pour les soins qu’ils recevaient, soyons honnêtes. Si l’on se donnait le mal de regarder le détail des sutures et des coups de bistouris, on y voyait au microscope la trace d’un travail extrêmement soigneux et extrêmement technique quelle que soit la complexité de la pathologie. Et finalement, si les patients se plaignaient de n‘être pas assez bien traités, ils n’avaient qu’à s’en prendre à leur absence de syndicat. Les médecins avaient un syndicat, les infirmiers avaient un syndicat, les brancardiers avaient plus ou moins un syndicat, et les patients, bien que rémunérant directement ou indirectement l’ensemble des trois autres corporations n’avaient pas de syndicat. Avec philosophie, m’a-t-on dit, un Docteur appelé Choron aurait énoncé .. « qu’ils crèvent.» La Cour des Aides qui autrefois avait siégé dans les lieux vénérables, constatait amèrement qu’il n’existait aucun outil pour mesurer l’efficacité des hôpitaux principaux et encore moins de celui capital, ce qui paraissait à la Cour des Aides un privilège extraordinaire … »
Ainsi se termine le texte de ce récit persan du correspondant de l’illustre auteur, disponible aux yeux de son inventeur qui a bien voulu m’en rapporter la substance quelque temps après sa découverte. Un morceau de page qui semble pouvoir se rattacher aux extraits ci-dessus, révèle toutefois un usage assez constant dans ce pays aux moeurs étranges selon lesquelles le directeur de l’hôpital capital est destiné à devenir le grand coordinateur des prescriptions à destination des hôpitaux principaux et centraux,ces-derniers appelés ainsi parce qu’ils sont situés au coeur de chaque provinces du pays. Rarement ces fonctions ont été accordées à une femme. Il semble selon des archives, cependant parcellaires parvenues jusqu’à nous, que deux d’entre-elles soient arrivées à ce poste.
2025 …. Il s’en est passé des choses … mais on les a vite oubliées. Cela fait déjà 8 ans que Madame Taubira est dictateur à vie de la Guyane devenue indépendante en 2017, et Emmanuel Macron en est à son 16ième refus de liberté conditionnelle, la Cour des comptes n’ayant pas encore fini de rétablir la vérité des comptes de l’année 2016.
Mais au tribunal de commerce, cela fait longtemps que tout ce qui était papier a été brûlé dans un gigantesque autodafé. Tout, absolument tout. Les dossiers, les conclusions, et même les vieux codes de procédure civile qui n’étaient même pas déballés. En fait, ils servaient à caler les estrades mais comme chaque année ils prenaient quelques pages de jurisprudence, les estrades devenaient bancales.
Dans la salle des pas perdus, des avocats hagards campent depuis le milieu de la nuit devant l’entrée de la salle d’audience. Eh oui, il n’y a plus de rôle mais seulement un écran qui défile les affaires à toute vitesse. Il est bien sûr strictement impossible de lire et noter plus qu’une ou deux affaires à la fois, ce qui oblige les avocats, qui ont échangé la robe contre un sac de couchage, à passer la nuit devant l’écran en espérant enfin que leur affaire apparaisse. Les crises de nerfs sont nombreuses, car le système d’affichage bugge et repart au départ sans préavis. Imaginez ce qu’il en est quand vous avez patienté plus d’une heure en surveillant 200 affaires, que vous espérez que vos affaires, au rang 207 et suivant vont enfin s’afficher et que paf, c’est à ce moment là que l’écran tombe en panne.
Mais l’heure de l’audience approche … alors un employé d’un prestataire de service passe rapidement essuyer avec un chiffon en peau de chat, survivance d’une ancienne tradition, les crachats qui décorent l’écran, signe de l’épuisement des avocats qui le contemplent depuis 12 heures.
La sonnette retentit sur les téléphones 8G des avocats et chacun à son tour tente d’ouvrir la porte de la salle d’audience en présentant au scanner de sécurité son œil, son doigt ou … non, quand même … L’habitude de faire postuler les dossiers par des non-avocats n’a pas disparu, mais du coup, les clercs ont, grâce au scanner, trouvé le moyen de contourner le système. Chacun est muni de l’un des doigts sanguinolents de son patron, qu’il présente au scanner pour ouvrir. Une motion est d’ailleurs en cours au niveau du barreau car cela limite à 10 le nombre de clercs de chaque avocat, raison pour laquelle ils demandent à pouvoir enregistrer aussi les empreintes de leurs doigts de pied pour démultiplier le nombre. Bête comme ses pieds a une nouvelle signification.
En file indienne, les avocats vont s’asseoir à la place qui leur est désignée par l’écran de contrôle. Aujourd’hui, ils sont tous assignés au dernier rang. Non, ce ne sont pas des cancres collés au radiateur, mais il y a encore un bug dans le système de placement qui considère que chacun de ceux qui ont postulé au moins une fois dans chaque dossier sont réputés présents. Du coup, les 22 premiers rangs sont réservés à des avocats qui ont cessé depuis longtemps de se présenter et les survivants se tassent au fond.
L’appel des causes commence. L’huissier ne lit plus les noms des parties, mais agite au dessus de sa tête le code barre de chaque affaire. Evidemment les avocats ne voient rien, comme ils sont au fond de la salle, et se repassent tous une paire de jumelles pour essayer de lire le code barre. En vain, il est faux, ce qui est la vraie raison de les cantonner au fond, mais chut ..
Le greffe s’énerve un peu et demande aux avocats de s’avancer cinq par cinq. Malgré leur protestations, le greffe leur explique que la nouvelle application e-audience est prévue pour qu’il y ait exactement cinq avocats par affaires, ni plus ni moins. A ceux qui protestent qu’ils ne sont pas dans l’affaire, est répondu qu’on s’en fout, l’avocat étant dispensé de pouvoir, le greffe n’est pas non plus tenu de vérifier que l’avocat est bien mandaté dans l’affaire. Non mais sans blague. La notion de demandeur et de défendeur a été abrogée depuis longtemps. On parle de numéro 1, numéro 2, numéro 3, numéro 4, numéro 5.
Aucun échange de conclusions à la barre, depuis longtemps le RPVTC a pris le dessus. La vérification du bon échange de conclusions est remplacé par un jeu en ligne où les avocats doivent appuyer assez vite sur la manette pour dégommer le maximum de cibles en un minimum de temps. Cela fait maintenant cinq ans que le CAPA a été remplacé par un M2 de jeux vidéo sur ordinateur, compte tenu de l’évolution de la technologie. Cela a aussi permis de rééquilibrer la province et Paris, puisque les avocats peuvent rester devant leur télévision à domicile.
Toute la profession s’extasie sur la dextérité de Maître AVigdor COlombus, qui bat tous ses confrères de plusieurs milliers de points. Il nous a avoué, en off, qu’il s’entraîne sur la version kalachnikov du jeu d’adresse, qu’il a pu facilement pirater, compte tenu des nombreux trous du système e-audience, et sur laquelle un de ses amis a remplacé le portrait de Rambo par celui du greffier qui a inventé e-audience. Ah ben bien sûr. Avec une pareille motivation cela frise la triche.
Toutefois, suite à une remarque de l’inspection générale, les avocats ne sont pas dispensés de remettre un paquet de feuilles papier intitulé conclusions. Le Greffe a décidé que pour gagner du temps, ce paquet devrait faire exactement 7 feuilles pas une de plus pas une de moins. Comme cela fait longtemps que ni les avocats ni les juges ne lisent plus les conclusions, ce paquet est constitué de feuilles vierges, mais pour distinguer les conclusions de chaque avocat, chacun s’est vu attribuer une couleur différente. On reconnaît d’ailleurs les jeunes avocats qui ne savent pas qu’on peut acheter le papier de couleur au temps qu’ils passent à peindre des papiers blancs avec des stabylos, habitude prise à la fac.
Le greffier est muni d’un scanner hyper moderne. Comme le scanner standard était trop lent et que l’absence chronique de sécurité avait fini par provoquer la fuite de dossiers, le scanner a été remplacé depuis 3 ans par un broyeur d’archives qui déglutit rapidement les conclusions et en fait des copeaux qui sont stockés dans les caisses d’archives. C’est d’ailleurs à cause de cette réforme que le costume des avocats a perdu sa bavette, il y avait eu trop d’accidents d’avocates penchées sur le broyeur et dont la cravate s’était coincée dans le mécanisme, provoquant leur hachage rapide.
Ce qui prend encore pas mal de temps, c’est la gestion des renvois. Le renvoi n’est plus à date choisie, mais est optimisé par e-audience. C’est donc une sorte de loto où les avocats attendent inquiets que le greffier leur annonce le verdict de la machine. Et c’est encore un morceau de l’application un peu buggée. Régulièrement, au lieu d’afficher une date, le pc du greffier se bloque, ce qui l’oblige à le rebooter. Et comme le système ne fait pas de sauvegarde, à chaque reboot, le commis greffier doit ressaisir les dates à partir de la première affaire. Du coup, il demande à l’huissier de rappeler la première affaire et on recommence ….. Les tribunaux de la couronne s’arrachent les meilleurs commis qui arrivent à saisir parfois jusqu’à cinquante affaires avant que tout ne plante et ne doive être recommencé. Pour les juniors, on leur demande à l’examen de saisir une seule affaire, et on constate qu’environ 2 sur 3 échouent.
Evidemment cela fait longtemps qu’il n’y a plus de juges sur le siège.
Au début on les a remplacés par un système expert heuristique. Mais ça n’a pas marché longtemps …. Evidemment le système expert apprenait au fur et à mesure et a fini par rendre les jugements de plus en plus vite et de plus en plus courts. D’ailleurs à la fin, les jugements étaient quasiment tous sous la forme G. F…. et personne ne savait les exécuter. Jusqu’au moment où on est tombé sur un huissier parlant anglais, qui a prétendu comprendre le sens, mais qui a tellement ri qu’il n’a jamais pu exécuter.
Mais une fois que e-audience a été généralisé, on a pu se dispenser des jugements. Le système est devenu tellement long que l’ensemble des sociétés finissent en liquidation avant d’être jugées, et on a donc, dans une version simplifiée du CPC, décidé de déclarer gagnant le dernier avocat encore debout à la fin de l’audience de mise en état quand tous ses confrères ont été évacués pour crise de nerf.
C’est à cause de cela que maintenant on demande aux avocats qui entrent en audience non seulement de laisser leur carte de crédit, le greffe ayant une nouvelle application pour débiter les dépens en temps réel, mais aussi leur carte vitale pour pouvoir les hospitaliser plus vite.
Quant à la procédure, le principal est sauf ….. la procédure est toujours Oh râle Oh désespoir .. même si d’aucuns avaient craint qu’elle ne devienne prescrite par un an, mais avec une double dose de haine.
C’est bien ce que disaient les avocats avant-gardistes quand on leur en parlait en 2015. E audience, on va l’avoir en prescription …
Un fidèle lecteur « Bobby93 » m’adresse un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles qui le réjouit, à juste titre , me semble-t-il,
car il constate ainsi dit-il:
a) que la Cour d’Appel de Versailles fait primer le CPC sur les dysfonctionnements de l’informatique
b) que la Cour d’Appel de Versailles accepte des commencements de preuve par écrit face à la parole d’un greffe soutenant ne pas avoir reçu ses conclusions.
Moralité, quand on vous parle de zéro papier, commencez donc par imprimer et archiver les copies écran de ce que vous faites sur e-barreau,
ca peut s’avérer indispensable …
Cette remarque, ajouterais-je, est un délice de fin gourmet. Ne perdons pas de vue également que l’humain doit primer. Que l’informatique est un moyen et non une fin en soi.
Au sujet du RPVA et du RPVTC, il a été beaucoup discuté du droit de la preuve et notamment de la preuve de la remise effective d’un acte, ou de conclusions, à une partie ou à son conseil.
Rappelons d’abord ce que dit le code
Pour l’assignation, pas de doute, ce sont les articles 656 et suivants qui remettent cela entre les mains de l’huissier, dont les actes ont une valeur probante particulière, même si l’on sait que dans certaines zones de «non droit» , le facteur des lettres simples passera là où celui des recommandés ne passera pas, et celui des recommandés passera là où l’huissier n’ira pas .. ce qui fait qu’un courrier simple fera se présenter à la barre une partie assignée en 659 CPC.
Pour les conclusions et pièces, la circulaire d’application du décret de 2010 dit précisément :
Il convient de rappeler que dès lors que le calendrier s’accompagnera, en application d’une disposition propre à une juridiction, d’une dispense accordée aux parties de se déplacer à l’audience, ces échanges interviendront par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par notification entre avocats, éventuellement par communication électronique.
En voulant éviter de recourir à une procédure qui marche bien, à savoir le dépôt à la barre, sous la responsabilité d’un greffier professionnel apte à viser et coter immédiatement des écritures, après avoir contrôlé leur caractère parfaitement contradictoire, la circulaire affaiblit grandement la sécurité juridique du processus. En outre la réalité est pire.
Oublions la signification palais, ce n’est pas le sujet, et oublions pour une fois le RPVTC qui permettra donc à tel ou tel d’écrire directement à telle ou telle autre partie, en incluant automatiquement une copie dans le dossier du juge, charge à ce pauvre juge, qui ne sera plus aidé en cela par son greffier remplacé par un système informatique, de trier dans ce qui aura « plus ou moins circulé », ce qui est plus ou moins contradictoire et à quelle date. Bon courage et multiplicité des cassations pour violation du contradictoire à prévoir. Ce sujet a été abondamment débattu par ailleurs et l’est encore.
Intéressons nous plutôt à la bonne vielle lettre recommandée dont il est commun de penser qu’un tiers externe assermenté, le facteur de la Poste, assure en toute indépendance le contrôle effectif de sa remise, comme d’ailleurs le rappelle un arrêté du 21 Mai 2013. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027470308 qui vise a renforcer le contrôle du destinataire
<<Si la personne qui accepte l’envoi a déjà précédemment justifié de son identité à l’adresse, conformément à l’article 4 du présent arrêté, auprès du même employé chargé de la distribution soit en tant que destinataire, soit en tant que titulaire d’un mandat du destinataire en cours de validité, l’employé peut remettre l’envoi sans nouvelle présentation d’une pièce d’identité. L’employé indique alors sur la preuve de distribution et, le cas échéant, sur l’avis de réception, que tel est bien le cas et appose sa signature sur ces mêmes supports pour en attester.
(..)
Au moment du retrait par le destinataire de l’envoi mis en instance, l’employé consigne sur la preuve de distribution les informations suivantes :
– les nom et prénom de la personne ayant accepté l’envoi et sa signature (le destinataire ou son mandataire) ;
– la pièce justifiant son identité ;
– la date de distribution.
La preuve de distribution comporte également la date de présentation de l’envoi.
(..)
Les mentions portées sur la preuve de dépôt, la preuve de distribution et, le cas échéant, l’accusé de réception doivent être libellées en caractères lisibles et sur support durable.>>
Le soussigné, qui lui aussi pensait que le recommandé était quelque chose de sérieux, a eu l’occasion de faire récemment trois expériences qui laissent songeur.
Tout d’abord en tant que destinataire. Une locataire, habitant au dessus de ses bureaux, lui adresse une LRAR à fin de congés d’un bail. Alors qu’il est présent dans ses bureaux, le facteur dépose un avis de passage, et ne tente même pas de présenter la lettre, malgré les procurations postales dûment déposées. Rien que du classique me direz-vous.
Oui mais quand le destinataire se présente à la poste, on lui indique que le pli est « reparti à l’expéditeur » .. ben voyons .. sauf que l’expéditeur, qui je le rappelle habite le même immeuble que le destinataire, ne le recevra jamais non plus.
Le pli a donc été non présenté, puis perdu.
L’expéditeur peut rapporter la preuve d’avoir envoyé un pli AR.
Le destinataire peut rapporter la preuve que la poste a été incapable de lui remettre le pli.
Jolie trame de jugement à venir s’il y a litige entre le locataire et le bailleur.
Et pas question bien entendu du moindre remboursement ni de la prise en compte du dommage créé, en l’espèce le décalage de la date d’un préavis.
Ensuite en tant qu’expéditeur : Utilisant cette fois la LRE, la lettre recommandée électronique, le même envoie un recommandé à un courtier. Quelle n’est pas sa surprise de recevoir deux jours de suite non pas un mais deux accusés de réception « roses », portant tous les deux exactement les mêmes mentions et références, et même n° de série «unique», mais attestant de deux remises au destinataire à deux dates distinctes (pour une seule lettre envoyée). Disons par exemple une fois « reçu le 8 », une fois « reçu le 10 ».
Etonné l’expéditeur adresse une réclamation à la Poste portant notamment sur deux sujets :
– pourquoi une seule lettre envoyée est devenue deux lettres remises ?
– a quelle date précise « la » lettre a été reçue ?
La poste commencera par ignorer soigneusement la première question, organisera des recherches sur le second, et transmettra quelques jours plus tard la réponse … Selon elle la lettre a été remise à son destinataire ni le 8, ni le 10 comme indiqué mais le 7.
Ah bon, et alors comment se fait-il que l’AR soit du 8 ?
Après de multiples relances, et toujours sans la moindre gène, la Poste répondra que le 7 c’est la date à laquelle la Poste a remis le courrier à la « société chargée de la distribution » ( non titulaire d’une procuration) et qu’elle ne peut savoir à quelle date le courrier a été effectivement remis au destinataire.
En investiguant, le soussigné a constaté – et que ce soit par exemple dans des greffes recevant beaucoup de courriers ou dans des entreprises privées ou des centres d’affaires que la procédure appliquée avec la «complicité » de la Poste est la suivante :
Autrement dit, afin de se simplifier la vie, la Poste
Imaginez les conséquences juridiques et judicaires qui peuvent en être tirées, si, comme démontré ci-dessus, la mention de la date de première présentation tout comme la mention de la date de réception du pli voire même la mention de remise ou non remise du pli sont fausses par construction et de surcroît laissées au choix du destinataire !
Que doit en penser le juge qui va décider au vu entre autres
Bref, nous avons largement parlé des dangers d’une procédure informatisée à la va vite sans prendre en compte son articulation fine avec le CPC, et qui risque de générer des incidents innombrables.
Mais à ceux qui penseraient que l’informatique en est (seule) responsable, il sera ici démontré que c’est plutôt la perte du bon sens qui génère ce genre de situation, et que la même chose peut se produire lorsqu’un maillon de la chaîne, ici le service public des Postes, décide de s’exonérer des obligations qui sont les siennes au visa d’un improbable « fini parti » qui préfère laisser à d’autres le soin de faire le travail correctement.
Et la déontologie, messieurs les avocats.
Audience pénale ordinaire, dans un TGI chaud vue par un magistrat civil dans le public.
Quatre jeunes personnes, deux hommes et deux femmes, gens du voyage selon les termes du VP rapporteur, poursuivis pour vol avec deux circonstances, deux d’entre eux en récidive, donc concourant pour dix ans.
L’un des avocats indique en riant qu’il va y avoir une demande de renvoi. Agacement du président qui vient d’en accorder de mauvaises grâce deux ou trois à des prévenus qui n’ont pas été très diligents dans leur défense.
Mais cette demande de renvoi est plus étrange. l’avocat A, qui défend les prévenus 1 et 2 était aussi le défenseur de la prévenue 3. L’avocat B défend la prévenue 4 et fait part du fait que la prévenue 3 souhaite être défendue par lui et que l’avocat A a indiqué s’y opposer et lui a interdit de plaider pour elle.
Renseignement pris, A estime être créancier d’une partie de ses honoraires et s’opposer donc à ce que B lui succède. Soit.
La prévenue 3, loin d’être une sainte, indique que l’avocat A a été choisi et payé par une belle-mère qui .. l’aimerait bien en tôle.
Il tente bien de désigner l’avocat B au titre de l’AJ, mais … ce dernier lui fait remarquer que cela de ne libère pas de son obligation confraternelle de ne pas succéder au sortant.
Qu’à cela ne tienne, le président estimant que la situation est de la faute de la prévenue 3, passe outre et refuse le renvoi.
Après les réquisitions, l’avocat A plaidera pour les prévenus 1 et 2, et l’avocat B uniquement pour la prévenue 4.
3 ne sera donc pas défendu, son nouvel avocat B ayant reçu interdiction de le faire, et son ancien/actuel avocat A n’ayant pas jugé bon de plaider pour elle.
Tiens, moi qui croyais que comme un médecin, un avocat soigne même s’il n’est pas sur d’être payé.
Saluons au passage le ministère public qui bien qu’agacé par l’absence de regrets des prévenus, aura requis sans le dire moins que les peines planchers.
Et tout le monde de se mettre d’accord sur .. vous verrez avec le JAP.
Voilà … sans doute une condamnation méritée pour les prévenus, mais dommage de condamner en même temps les droits de la défense.
Les lecteurs fidèles de ce blog l’auront noté, M° Gilles Huvelin ne porte pas aux calendriers la même affection qu’un facteur de la Poste à l’approche des étrennes. Je en parle pas des calendriers Ferrari ou Aubade, au sujet desquels son opinion reste de la sphère privée, mais plutôt des calendriers http://avocats.fr/space/gilles.huvelin/content/les-calendriers-de-procedure-devant-les-tribunaux-de-commerce-doivent-etre-contractuellement-acceptes-_5722A5D5-4625-4B5E-8698-2A74CD74BBE8 ou http://avocats.fr/space/gilles.huvelin/content/il-est-temps-de-dire-que-nous-ne-sommes-pas-d-accord-_C859D8D7-A4C5-482E-A61C-B92580A826B9 que leur diversité brouillonne condamna à leurs débuts à finir épinglés contre le mur, avec ou sans croc de boucher. Et comme pour planter le clou il faut être deux, il arrive à l’excellente Corinne Blery de tenir avec son talent habituel le marteau lorsque M° Huvelin tient le clou :http://avocats.fr/space/gilles.huvelin/content/protocole-de-procedure-devant-le-t-c–de-bobigny_3D1A6290-3407-4F0C-AE60-C9A42B31A595 .
Mais même lorsqu’ils ne sont pas entachés de ces vices originels, les calendriers de procédure ne sont pas sans poser question. L’expérience aidant, on les voit créer aux avocats d’autres problèmes plus complexes.
Oublions l’entrave à la liberté de lire le dossier la veille de l’audience et de conclure le matin, l’idée n’est pas de jeter des pierres sur les cailloux.
Mais lorsque par exemple, les parties indiquent vouloir transiger, et que le juge chargé d’établir le calendrier que les parties n’ont pas réussi à élaborer les pousse un peu en disant, très bien … donc vous indiquez que vous aurez sans aucun doute abouti à une négociation d’ici trois mois au grand maximum. Très bien ; non, nous ne nous revoyons pas dans trois mois, nous notons comme première étape du calendrier que vous notifierez au tribunal, dans trois mois, soit fin juin 2013, la conclusion ou l’échec de la négociation. Et nous planifions l’étape suivante, les conclusions en réponse du DEF. Pardon ? Ah plutôt quatre mois pour les négos. Très bien quatre mois et donc fin Juillet 2013. C’est vous qui conduisez l’instance, le tribunal ne fait que l’organiser. Et donc ensuite pour les conclusions en réponse du DEF ? Ah oui, il vous faut un bon mois, non deux avec les vacances. Pas de problème donc CCL DEF a fin septembre 2013. Très bien. Donc jusqu’à fin Juillet pour les négos, après vous notifiez un désistement ou un échec, puis jusqu’à fin Septembre pour les CCL DEF. Pardon ? Ah oui, finalement rien ne vous interdit de poursuivre les négos jusqu’à fin Septembre ? Non bien sur ? Et dans ce cas, ça change la date des CCL en réponse ? Non ? Ah vous pouvez rédiger vos CCL en DEF en 48 heures ? Ah bon ! Pardon, j’avais entendu 2 mois minimum.
Compliqué aussi lorsque l’une des parties entend conclure sur des incidents qui sont sans doute soulevés de bonne foi mais qui ont un caractère éventuellement dilatoire (au sens commun). Bien sur, Maître. Donc vous concluez sur l’incident pour fin Avril 2013, le demandeur réplique pour fin Mai 2013, et ensuite vous concluez en défense au fond pour ???? Pardon ? Ah .. on verra le calendrier plus tard .. non.. non.. on fait un vrai calendrier .. Donc au cas où l’incident ne serait pas retenu, vous concluez en défense au fond pour quand ? Y répond en général un œil de chien battu identique à celui qui dans une audience correctionnelle simple où les faits sont évidents mais la police a un peu brusqué les choses suit la décision « nous joignons l’incident au fond ».. Traduction à mi-voix pour le client dans le box : « c’est mal barré, ils vont rejeter l’incident »
Compliqué encore lorsque via une chaîne d’assurance ou de transport, il est probable que les appels en garantie successifs vont se multiplier et où l’on entend faire surgir par avance les évidences en matière d’appel en garantie, et éviter qu’il se passe trois mois + vacances entre chaque là où un mois peut largement suffire. Face au « mais je ne sais pas encore qui je vais appeler en garantie », le « ben vous pensez sérieusement que l’ensemble de la chaîne ne va pas intervenir, volontairement ou contrainte ? » n’a pas toujours l’effet « eureka » qu’on pourrait attendre. Encore un calendrier qui s’oppose à la liberté de flâner. .Et sans la liberté de flâner il n’est pas de plaidoirie flatteuse, comme disait un beau marcheur. Quelle vie !
Et que dire lorsque à une audience de rappel le dominus litis sorti de sa lointaine réserve car étonné de cette procédure qui viserait à le contraindre, et venu « substituer son mandataire ou son collaborateur », indique d’un ton indigné qu’en aucun cas il n’a été informé des contraintes figurant dans l’ordonnance calendrier, et qu’en tout état de cause, ce qui a été convenu avec son collaborateur trop tendre ou son mandataire ne saurait lui être opposable.
Et oui… il semble aussi que le calendrier soit un outil pour faciliter les négociations en leur fixant une date butoir et en leur évitant de déraper, et aussi un outil à accélérer la discussion au fond plutôt que le concours d’incidents.
Mais ce faisant, ne risque-t-il pas de faire passer l’article 3 du CPC avant l’article 2 ? En a-t-il le pouvoir ? Sous quelles limites ?
A vos claviers ..
Un de nos professionnels du droit auteur anonyme témoin de nos pratiques m’envoie un texte sympathique qui décrit nos « problématiques » sous le tritre : »Autant en emporte le temps ». Ce regard, à peine extérieur mérite d’être suivi pour nous remettre peut-être en cause :
« D’un côté le métier de l’avocat le conduit à devoir facturer au client qui a parfois du mal à le comprendre le quart d’heure qu’il passe au téléphone sur son dossier, et de l’autre, les tribunaux et les cours excellent à lui faire perdre la moitié de sa journée.
Qui d’entre-vous n’a pas déjà fait 800 kilomètres et perdu une journée pour apprendre à l’arrivée qu’il ne plaiderait pas car le dossier était renvoyé à une audience ultérieure, suite à une manoeuvre peu confraternelle d’un contradicteur, ou pire .. suite à un dossier mal classé par le greffe, une surcharge de l’audience, une erreur dans la citation du prévenu, ou .. une simple envie du siège de profiter du soleil de fin d’après midi pour aller à la pêche.
Lequel n’a pas, jeune avocat, eu la tentation de calculer le ratio entre le temps qu’il passe à plaider et celui qu’il passe à attendre en salle d’audience ou en salle des pas perdus son tour dans un rôle où il est le 23ème sur 22 ?
N’y a-t-il pas une sorte de mépris de la profession qui consiste à convoquer tout le monde à l’ouverture de l’audience, laisser les avocats qui n’ont pas déjeuné négocier avec l’huissier audiencier l’ordre de l’audience, et tenter de retenir telle affaire, pour ensuite les traiter au fil de l’eau, tant pis si cela se traduit par une après midi d’attente pour 10 minutes de plaidoirie.
Certes, diront les victimes de l’informatisation et du Redoutez, (le) Pire (il) Vous Attend, l’attente en salle des pas perdus est un moindre mal par rapport à l’informatisation de certaines juridictions qui ont décidé d’autorité de convoquer les affaires devant chaque juge de 20 minutes en 20 minutes, ce qui conduit mécaniquement l’avocat qui a trois dossiers à être convoqué à la même heure devant trois juges différents dont deux au moins lui reprocheront son retard. Ah bon le quantum n’est pas de 20 minutes ? Bah, c’est pour prendre un exemple ..
Mais ce n’est pas mieux pour le siège ni pour le parquet.
Petite incursion dans une chambre correctionnelle. La longue lecture de la prévention et du casier généralement touffu des invités du jour est sans doute nécessaire pour se faire une idée du sujet. Mais à part le public, on imagine que le parquet et les 2 magistrats autres que le rapporteur et les avocats côté partie civile et côté mis en examen les ont déjà lus non ? Ah bon ..
L’interrogatoire d’identité est certes une sécurité, mais …. est-ce vraiment un acte juridictionnel ou une importation d’une nécessité administrative qui mobilise inutilement 3 juges et un procureur ?
Et que dire de la plus ou moins exacte traduction « live » – de plus en plus courante en correctionnelle ce n’est pas un jugement de valeur ni une position politique c’est une constatation – qui ralentit tout le monde et qui fait parfois trembler quand on a le malheur de comprendre la langue du prévenu et de compter les contre-sens faits par le traducteur. En résumé, l’un lit le casier imprimé par un greffe, que l’autre traduit au fil de l’eau, puis le même lit l’ordonnance de renvoi que le second traduit au fil de l’eau. Ne serait-il pas imaginable de faire traduire par écrit ces documents avant et de les donner à lire aux prévenus pour les occuper pendant leur long séjour à la souricière et se contenter de vérifier qu’ils en ont eu connaissance ?
Et quid d’un parquet, (quand on titre « autant en emporte le temps », il faut bien un personnage couleur « Scarlet »), qui use prématurément les articulations de ses genoux à se dresser pour requérir la même chose 130 fois de suite en 6 heures dans 130 dossiers identiques que, heureusement pour la justice et malheureusement pour son arthrose, le code interdit de traiter en «bloc».
Finalement n’y a-t-il pas une sorte de négation de l’importance de la plaidoirie quand on constate le peu de temps qui y est consacré par rapport au reste du temps d’attente, de déplacement et d’administratif divers ? C’est bien sur dans un contexte de procédure orale, CPH, TC ou TGI en formation correctionnelle, CA .. que se place ce billet, les procédures écrites TGI-Civil ou TA relevant d’une toute autre logique.
Tout ceci est certes une question d’individu, et l’on est parfois « déçu en bien » de voir un procureur que l’on pensait somnolent axer ses réquisitions sur tel détail important de l’interrogatoire du prévenu ou d’un témoin ou le président d’audience que l’on pensait occupé à conférer à voix basse avec son voisin de droite montrer qu’il écoutait néanmoins. Mais j’ai aussi quelques souvenirs récents d’une présidente conférant à voix basse avec une secrétaire qui venait de rentrer, pour ensuite couper l’avocat qui commençait juste à plaider, d’un « finissez maître, je dois descendre dans 5 minutes à une AG qui vote sur la poursuite de notre grève.». Brr ..
Qui n’a pas également dû appeler 20 fois le service des copies pénales, ou lui rendre visite 5 fois, pour se faire 20 fois répondre après 5 minutes de recherches, et donc 1h30 de perdu par ledit service que « nous n’avons pas encore eu le temps de vous faire une copie », tâche qui prend sans doute 10 minutes recherche, photocopie et affranchissement inclus, soit à peine plus que le temps de répondre deux fois de suite « pas le temps, débordés ».
Il ne faut certes pas tomber dans la caricature de l’organisation appliquée à tout prix à un secteur qui relève d’autres logiques. Saint-Louis nous garde d’une justice trop expéditive comme celle que Bravitude-Jane souhaitant prendre comme exemple outre Grande Muraille ou celle qu résulte de la lassitude de l’après midi décrite ici http://avocats.fr/space/gilles.huvelin/content/chronique-d–39-une-justi… et qui ressemble un peu trop à la troisième messe basse de Daudet.
Il n’est pas question de réorganiser les cours à la façon bien connue dont certains consultants proposaient de traiter les orchestres symphoniques http://manag.r.free.fr/humour_orchestre_symphonique.html ni de favoriser les excès rapportés ici http://avocats.fr/space/bogucki/content/ces-tribunaux-qui-refusent-les-p… .
Mais ne serait-il pas quand même temps de remettre en cause certaines habitudes et usages qui certes relèvent d’un charme un rien suranné, mais sont aussi responsables du délai de traitement des causes qui dans certains tribunaux notamment professionnels ou CPH deviennent insupportable au justiciable et d’une perte de temps considérable pour l’ensemble des intervenants de la chaîne judiciaire ?
Mais ça c’est un challenge pour les d’auxiliaires de justice … ou bien ils trouveront le temps et l’énergie d’être force de proposition sur le sujet, ou bien ils peuvent s’attendre un de ces jours à ce que leur tombe dessus une réorganisation pensée par des organisateurs de la chancellerie via un projet dont le nom pourrait être … par exemple … Ruiner Préventivement Votre Agenda ? »